Madame Figaro

“LA BEAUTÉ EST TOUJOURS SINGULIÈRE”

Pourquoi est-ce si difficile d’échapper aux canons esthétique­s et de se libérer du regard d’autrui ? Le philosophe et écrivain Charles Pépin apporte son éclairage.

-

« Le propre d’une société est d’être normée. Ça a toujours été comme ça ; de tout temps, il a été difficile pour les individus d’exprimer leur différence ; ce n’est pas pire aujourd’hui qu’hier, et Instagram ne change rien à l’affaire. Il faut simplement que chaque personne conserve un espace de liberté par rapport à cette norme, ne soit pas soumise à une injonction trop tyrannique. »

APPRENDRE

À SE FAIRE CONFIANCE

« La liberté est d’être le propre juge de sa beauté, d’être capable de s’écouter, de se faire confiance. Cependant, on ne peut pas faire l’économie de l’omniprésen­ce du regard de l’autre. Ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est précisémen­t qu’il vit sous le regard des autres humains. Nietzsche disait : “Deviens ce que tu es”, mais on ne peut pas devenir ce que l’on est hors le regard d’autrui. Il y a deux écueils à éviter : le premier, c’est de croire qu’on peut s’en détacher ; le second, c’est de se laisser enfermer, essentiali­ser par ce regard. Ce qui est beau, c’est de comprendre que je ne suis pas simplement ce que les autres voient de moi, mais que je suis aussi ce que les autres voient de moi. Ça serait contre-productif et dangereux de dire aux femmes : “allez chercher de l’assurance toute seule face au miroir”. C’est dur d’aller chercher la confiance dans ce regard extérieur, mais nous n’avons pas le choix. Je dois juste savoir que ce regard ne dit pas ma vérité absolue, éternelle. C’est une indication parmi d’autres. Il y a aussi ce que je pense, ressens, fais, il y a aussi mes émotions… Ce n’est pas toujours facile mais les amis, les amoureux, les psys, les thérapeute­s peuvent autoriser quelqu’un à se sentir belle. »

CULTIVER SA DIFFÉRENCE

« La ligne de partage, pour moi, n’est pas entre la beauté et la laideur mais entre la singularit­é et le conformism­e. Il y a des femmes belles au sens formel, plastique, cependant si soumises aux diktats, que de ce point de vue-là, elles ne sont pas belles à mon sens. Baudelaire ne disait-il pas : “Le beau est toujours bizarre”. À chacun de s’inventer dans sa singularit­é malgré les normes. La manière de s’habiller, de se maquiller, de se comporter, de marcher, de sourire, de parler... La beauté, c’est la somme de tout cela. Enfin, si parfois on se soumet à la norme, ce n’est pas si grave. On ne peut pas toujours être dans la conquête de soi. Il faut aussi accepter que l’adolescenc­e soit l’âge du conformism­e. On a besoin de se rassurer en ressemblan­t aux autres et il ne faut pas brusquer les jeunes filles. En revanche, il faut leur rappeler que la beauté est toujours singulière. »

ADMIRER POUR S’AFFIRMER

« Mon conseil aux jeunes (et moins jeunes) filles : fermer les comptes Instagram qui angoissent et suivre ceux qui inspirent. Admirer les singularit­és, voire les marges, c’est une bouffée d’oxygène. Admirer, ce n’est pas être fan ni esclave, c’est s’inspirer de la manière dont quelqu’un réussit sans se soumettre aux codes. Cela peut donner des ailes. Enfin, il faut voir l’horizon, se situer dans le temps long. Il faut une vie entière pour devenir soi. » Charles Pépin est l’auteur, entre autres, de « La confiance en soi, une philosophi­e » et de « La joie » (Éditions Allary).

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France