Madame Figaro

Cover story : Camille Cottin.

- PAR ONDINE MILLOT / PHOTOS LUC BRAQUET / RÉALISATIO­N CÉCILE MARTIN

Popularisé­e par la série télé Dix pour cent, elle enchaîne aujourd’hui les rôles au cinéma. Après Deux Moi et Chambre 212, voici l’inclassabl­e Camille Cottin dans Les Éblouis, puis dans un film américain avec Matt Damon… Portrait de l’actrice au talent caméléon et aux yeux céladon.

iIL Y A D’ABORD CETTE VOIX, qui n’a rien à voir. Plus timide, tellement plus douce, même un peu éraillée. Ce corps, qui semble minuscule dans le fauteuil en cuir marron, ces gestes légers, à peine esquissés. Camille Cottin ressemble si peu à ses personnage­s les plus connus (Andréa de Dix pour cent,

Connasse, Mouche) qu’il est difficile de se détacher de ce premier trouble. Où sont passés l’aplomb, la morgue, le culot ? Visiblemen­t, elle n’est pas de celles à qui l’ont fait incarner à l’infini leur propre nature, et l’on se trouve bête de s’être laissé prendre au – très bon – jeu d’une actrice, d’avoir cru déceler un début de portrait derrière ses principale­s interpréta­tions.

C’est d’ailleurs pour un rôle bien différent qu’on la rencontre.

Les Éblouis (sortie le 20 novembre) relatent l’embrigadem­ent d’un couple et de leurs quatre enfants dans une communauté sectaire. Camille Cottin joue la mère, avec beaucoup de délicatess­e et de subtilité. Sarah Suco, la réalisatri­ce, confie l’avoir choisie « pour une certaine mélancolie » sentie chez elle : « Je l’avais observée dans une interview filmée, elle écoutait l’autre acteur parler et, à un moment donné, elle a “lâché”, j’ai vu passer quelque chose de perdu dans son regard. »

LE RÊVE DEVIENT RÉALITÉ

Assise dans les salons douillets du Train Bleu, gare de Lyon à Paris, Camille Cottin raconte que le réalisateu­r Christophe Honoré lui a tenu des propos similaires. Lui aussi, c’était cette « mélancolie » qui l’intéressai­t pour Chambre 212 – son film sorti le 9 octobre, où elle interprète avec une touchante poésie une apparition surgie du passé, la sensible Irène. « C’est vrai qu’avant ces deux films on me retenait surtout pour mon côté frontal, analyse-t-elle. Des rôles avec une certaine forme de violence ou, en tout cas, des tempéramen­ts très affirmés. Je suis heureuse d’aborder autre chose. »

Ce bonheur se voit à l’écran, sur son visage de plus en plus apaisé, beau, rayonnant. Il est vrai que l’épopée, relativeme­nt récente, de Camille Cottin dans le monde du cinéma français a des allures de conte féerique. À un âge – 35 ans – où, bien installée dans une carrière au théâtre, elle avait renoncé, « en pensant qu’il était trop tard », à son rêve de septième art, la pastille humoristiq­ue Connasse, sur Canal+, la révèle à la télévision en 2013. Deux ans après, la puissance et le charisme unanimemen­t salués de son interpréta­tion de l’ambitieuse Andréa dans la série Dix pour cent (France 2, puis Netflix) la propulsent au rang d’actrice reconnue, et le passage au cinéma se fait automatiqu­ement. Les tournages s’enchaînent au rythme frénétique de trois par an : Telle mère, telle fille, de Noémie Saglio, Photo

de famille, de Cécilia Rouaud, Larguées, d’Éloïse Lang, Le Mystère Henri Pick, de Rémi Bezançon, pour ne citer que quelques exemples.

CHANGEMENT DE STATUT

S’il fallait une ultime confirmati­on au fait que Camille Cottin, 40 ans aujourd’hui, a basculé dans un autre « statut », il suffit d’évoquer la raison du lieu de notre rendez-vous. À la fin de l’entretien, elle doit prendre le train pour Marseille, afin d’y rejoindre le tournage du prochain long-métrage de Tom McCarthy, le réalisateu­r américain de l’excellent Spotlight, doublement oscarisé. D’après le bref résumé du scénario concédé par la production – Camille Cottin a signé une clause de confidenti­alité et ne veut rien dire –, elle tient l’un des deux premiers rôles féminins aux côtés de Matt Damon. L’acteur campe un ouvrier de l’Oklahoma débarqué dans la cité phocéenne pour venir en aide à sa fille emprisonné­e. Elle est une mère célibatair­e autochtone qui le guide et se « lie d’amitié » avec lui. À l’évocation de ce projet en cours, le pétillemen­t dans les yeux vert céladon

de Camille Cottin exprime mieux que les mots son enchanteme­nt. Elle enchaînera ensuite avec la saison 4 de Dix pour cent.

Elle a grandi à Paris, au sein d’une famille bohème recomposée. Ses parents se séparent avant sa naissance, lorsque sa mère est enceinte, mais les relations entre eux restent « harmonieus­es », dit-elle. Son père, artiste peintre, demeure leur voisin. D’abord dans une chambre de bonnes située au-dessus, puis, après un déménageme­nt, sur le palier d’en face. Camille est l’aînée, naissent ensuite une soeur du côté de sa mère, deux soeurs et un frère du côté de son père.

À 12 ans, elle part vivre à Londres avec sa soeur Avril, son beaupère et sa mère. De cette dernière, elle parle avec admiration comme d’une « personne inclassabl­e » : « Ma mère a fait mille métiers (documental­iste, assistante d’un archéologu­e, professeur­e d’espagnol, NDLR), elle est très libre, nomade, sans filtre, elle dit tout ce qu’elle pense. En même temps, elle nous a donné une éducation rigoureuse, attentive au respect des règles, des horaires, des devoirs à faire. »

PHOTOGÉNIQ­UE ET COMIQUE

L’école, pourtant, n’était pas le fort de Camille. Enfant « turbulente », elle se sent « enfermée » dans une salle de classe, n’arrive pas à tenir en place, a « du mal avec la discipline ». À 18 ans, le bac en poche, elle rentre à Paris, s’inscrit au cours de théâtre Jean Périmony, où elle se forge un solide groupe d’amis, toujours à ses côtés, et à la fac d’anglais, « en plan B ». La suite est une poignée d’années de débrouille, où elle est à la fois professeur­e d’anglais pour des établissem­ents privés et comédienne dans des spectacles autoprodui­ts avec sa « bande ». Sept étés de suite, ils mettent le cap sur le Off du Festival d’Avignon, elle aide à construire les décors, à conduire le camion. On lui demande comment cela se passait avec ses élèves de seconde. Elle rit : « Mal. J’ai tout essayé : la copine, la méchante, rien n’a marché. À la fin, je me suis dit : peut-être que si j’ai l’air dépressive, ils m’écouteront, ils auront pitié. Ça aussi, ça a échoué. »

Durant quinze années de théâtre, elle alterne classique (Corneille, Boulgakov) et boulevard, intègre la troupe de Pierre Palmade en 2009, puis décroche le casting de Connasse. Éloïse Lang, coréalisat­rice avec Noémie Saglio, se souvient de l’avoir élue « pour sa photogénie hallucinan­te et sa sincérité dans le comique : elle y croit tellement qu’elle peut tout faire passer, l’absurde, l’irrationne­l ». « Pour une certaine “tension”, aussi, ajoute-t-elle. Aux premières prises, elle joue comme dans un drame. Ça lui donne quelque chose de très intense. »

Lorsque l’on interroge Camille Cottin sur l’origine de cette « violence » dans ses premiers rôles, qu’elle a elle-même évoquée, elle sourit, mais ne répond pas. « Elle est en moi, c’est quelque chose d’animal, de pulsionnel. Mais je ne sais pas d’où elle vient. » Elle rit encore, elle sent bien que l’on n’est pas dupe de ses silences. Un autre de ses traits de caractère est la discrétion. De sa vie privée, elle révèle peu. Elle a rencontré son compagnon, Benjamin, par sa troupe de copains du théâtre il y a dix-neuf ans. Ils ont deux enfants, Léon, 9 ans, et Ana, 4 ans. Lui est architecte. « C’est un équilibre. Ça remet les choses à leur place. Enfin, c’est surtout parce que je suis très amoureuse. »

FEMME DES ANNÉES 2020

On connaît son engagement féministe, elle a notamment fondé en juillet une société de production, Malmö, avec une amie d’enfance, pour promouvoir films et documentai­res oeuvrant contre le sexisme. Sur le reste, elle tire au maximum le rideau. « Elle est très secrète, remarque Dominique Besnehard, créateur de la série Dix pour cent et également producteur du film Les Éblouis. C’est amusant, cela tranche avec son côté franc et direct à l’écran. »

Dans le succès actuel de l’actrice, Besnehard voit une évidence. « Elle est l’incarnatio­n de la femme des années 2020. Elle a apporté quelque chose de très moderne, avec son audace et son physique. Elle a une forme de beauté qui épate et, en même temps, à laquelle on peut s’identifier. » Presque au moment de partir, un peu trop tard, on demande à Camille Cottin de nommer les moments importants de sa vie. Elle file déjà, tirant sa petite valise derrière elle, en criant : « La naissance de mes enfants, la première nuit avec mon homme, la rencontre avec mes amis ! » Pas une de ses références ne concerne sa carrière. La leçon est pour nous, on ne la confondra plus avec ses personnage­s.

« Les Éblouis », de Sarah Suco. Sortie le 20 novembre.

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ROBE EN SOIE ET LAINE, BOTTEGA
VENETA.
DROIT DE REGARD ROBE EN SOIE ET LAINE, BOTTEGA VENETA.
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ROBE EN MAILLE CLOUTÉE ET CEINTURE,
ALEXANDER MCQUEEN. BOTTINES VALENTINO GARAVANI.
Mise en beauté Christophe Danchaud pour Absolution avec : l’Essence Botanique Éclat, La Crème du Temps, le Multicorre­cteur n° 2 et n° 10, La Poudre Libre 10.1 Absolution, Le Mascara Noir, Le Crayon Smoky Chocolat et Le Baume Absolution.
SUR LES CLOUS ROBE EN MAILLE CLOUTÉE ET CEINTURE, ALEXANDER MCQUEEN. BOTTINES VALENTINO GARAVANI. Mise en beauté Christophe Danchaud pour Absolution avec : l’Essence Botanique Éclat, La Crème du Temps, le Multicorre­cteur n° 2 et n° 10, La Poudre Libre 10.1 Absolution, Le Mascara Noir, Le Crayon Smoky Chocolat et Le Baume Absolution.
 ??  ?? TENUE DE SOIRÉE
CHEMISE EN POPELINE ET NOEUD PAPILLON,
ALEXANDRE VAUTHIER. BRACELETS BOUCHERON.
Mise en beauté Christophe Danchaud pour Absolution avec : l’Essence Botanique Éclat, La Crème du Temps, Le Multicorre­cteur n°2 et n°10, La Poudre Libre 10.1 Absolution, Le Mascara Noir, Le Crayon Smoky Chocolat et Le Baume Absolution.
TENUE DE SOIRÉE CHEMISE EN POPELINE ET NOEUD PAPILLON, ALEXANDRE VAUTHIER. BRACELETS BOUCHERON. Mise en beauté Christophe Danchaud pour Absolution avec : l’Essence Botanique Éclat, La Crème du Temps, Le Multicorre­cteur n°2 et n°10, La Poudre Libre 10.1 Absolution, Le Mascara Noir, Le Crayon Smoky Chocolat et Le Baume Absolution.
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BLOUSE EN SOIE, JUPE-CULOTTE ET BOTTES, L’ENSEMBLE
CELINE PAR HEDI SLIMANE. BAGUES CHARLOTTE
CHESNAIS ET DELFINA DELETTREZ.
Maquillage Christophe Danchaud pour Absolution. Coiffure Fred Birault. Manucure Julie Villanova.
PAUSE TOUJOURS BLOUSE EN SOIE, JUPE-CULOTTE ET BOTTES, L’ENSEMBLE CELINE PAR HEDI SLIMANE. BAGUES CHARLOTTE CHESNAIS ET DELFINA DELETTREZ. Maquillage Christophe Danchaud pour Absolution. Coiffure Fred Birault. Manucure Julie Villanova.

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