LES RÈGLES DU JEU CHANGENT
PETIT À PETIT, AUTEURES, ACTRICES, METTEUSES EN SCÈNE, DIRECTRICES D’INSTITUTION… GAGNENT DU TERRAIN ET FAÇONNENT LA CRÉATION THÉÂTRALE.
EENTENDU EN COULISSES : « Je serai vraiment metteuse scène le jour où j’arrêterai d’apporter des chouquettes aux techniciens pour qu’ils fassent ce que je leur demande. » Pas si facile d’être une femme sur un plateau, cet espace pourtant sacré, de totale liberté, qui ne devrait pas être genré… Cela dit, la prise de conscience est là, les mentalités ont évolué, le théâtre public est attentif. La question de la parité n’est plus un tabou, les plaquettes de saison utilisent l’écriture inclusive, les metteuses en scène sont de plus en plus nombreuses. « Slasheuses », elles sont actrices/fondatrices de collectifs/auteures/ metteuses en scène… Et, parfois, plus rarement, directrices de centres dramatiques nationaux. C’est ainsi que cette génération, celle des 30-40 ans, conquiert du pouvoir et prend, petit à petit, les commandes.
Julie Duclos, Irène Bonnaud, Alexandra Badea, Blandine Savetier, Céline Schaeffer, Tamara Al Saadi, Maëlle Poésy… étaient à l’affiche du dernier Festival d’Avignon. « La programmation atteint 42 %, 43 % de femmes. On arrivera un jour à un festival paritaire, promet son directeur, Olivier Py. Il y a un changement générationnel. La mienne a raté cette révolution. C’est plus difficile à l’international, où un dixième des spectacles proposés sont l’oeuvre d’une femme. Nous devons faire de la discrimination positive. Mais, en France, dans dix ans, on ne se posera plus la question. La violence du patriarcat sera périmée. »
SEULES 27 % DES MISES EN SCÈNE SONT FÉMININES
« Où sont les femmes ? » se demandent en revanche la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et, dans la foulée, l’association HF Île-de-France, qui lutte pour l’égalité entre les sexes dans le domaine de la culture. Reconnaissant les bienfaits du mouvement MeToo, notamment dans la libération de la parole, elles pointent les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Selon l’étude publiée en 2016 par la SACD, seules 27 % des mises en scène sont confiées à des femmes. Pire : 4 % des orchestres seulement sont dirigés par une chef… Agnès Quinzoni, secrétaire générale du Jeune théâtre national, cite les chiffres les plus récents : « Ils sont officiels, tirés du rapport 2019 publié par l’Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes du ministère de la Culture. Les femmes réalisent en moyenne un tiers des représentations programmées. Concernant le financement, elles reçoivent un tiers des aides au théâtre, mais seulement un quart des montants alloués. Si les pourcentages ont progressé depuis le premier rapport de Reine Prat, en 2006, ce n’est pas non plus un raz de marée. »
LA LÉGITIMITÉ, NOTION À APPRIVOISER
Sans compter qu’il reste des territoires à conquérir : celui des grands plateaux, rarement proposés aux femmes ; celui des institutions parisiennes (la ComédieFrançaise, l’Odéon, etc.), où elles ne sont – à une exception près – jamais nommées ; celui de la légitimité, notion qui les taraude davantage que les hommes.
Macha Makeïeff, leur aînée, directrice de La Criée, à Marseille, déplore l’effacement des femmes de sa génération, avant de se réjouir des effets de la parité pour la suivante. Là encore, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. La direction des lieux de production, et donc du pouvoir, reste l’apanage des hommes, puisque seuls deux dirigeants sur dix sont des femmes. « Toutes les institutions sont faites par les hommes et pour les hommes, souligne-t-elle. Il faut repenser les institutions, avoir une vision politique, définir une stratégie pour l’avenir. » Prochain chantier !