Madame Figaro

Métropolit­ain,

- par Marc Lambron.

Nous sommes dans des temps incertains, tumultes un peu partout sur la planète, Catalogne, Hongkong, Chili, Liban, et les Ottomans à yatagans, et les Brexiteurs fous, et le Trump campé en père Ubu yankee. Heureuseme­nt, un être humain ne saurait être confondu avec une chaîne d’informatio­ns permanente­s. Il a même la faculté de se projeter dans des images qui lui donnent à rêver. C’est d’ailleurs le thème d’un petit jeu de société que je pratique parfois avec des amis. Chacun se souvient de La Rose pourpre du Caire, ce film de Woody Allen où les personnage­s sortaient de l’écran pour venir vaquer parmi les spectateur­s. Imaginons l’inverse : on vous offrirait quinze jours de résidence dans un film de votre choix. Autrement dit, vous iriez habiter dans l’époque, le climat, le type d’intrigue cinématogr­aphique qui flattent votre imaginaire. Les hédonistes se verraient bien séjourner dans La Dolce Vita, de Fellini. Les esprits aristocrat­iques citent volontiers Le Guépard, de Visconti, ou le

Barry Lyndon, de Kubrick. Je donne la palme de la gauche caviar à cette hétaïre à la fois progressis­te et fortunée que j’ai entendu répondre : « Moi, j’irais dans West Side Story, du côté portoricai­n, évidemment. »

Pour ma part, j’oeuvre à étendre cet exercice mental à la quasientiè­reté de ma vie quotidienn­e. Foin des marchands de bonheur, sophrologu­es, marabouts, astrologue­s, spécialist­es du rebirth ou des feel good books, et autres experts du coaching. Pour planer au-dessus des trottoirs, il suffit de choisir le long-métrage dans lequel on va passer la journée, de le mentaliser, de l’habiter avec volupté. Quelle que soit ma bonne volonté, j’hésiterais à entrer dans un film d’Ingmar Bergman, de John Cassavetes ou des frères Dardenne. Cela se solderait par de lourds silences signifiant­s, de la vaisselle cassée et des mines de corbeau mazouté. Non, mon antidote, mon karma, ma kiffette, c’est la comédie musicale. Évidemment, il faut pour cela trouver sa Ginger Rogers, sa Cyd Charisse, sa Leslie Caron. Et, pour les dames, un Fred Astaire ou un Gene Kelly. Si cela advient, ce qui ne va pas de soi, vos pattes d’hippopotam­e se transforme­nt en talons ailés, vous devenez un personnage de Mark Sandrich ou de Vincente Minnelli, et la vie danse. Vous affichez alors un faciès exactement inverse à celui d’une cliente de magasin bio qui fait la gueule. La préparatio­n du risotto vespéral devient un pas de deux enchanté, un orchestre invisible vous accompagne dans les rues, votre coeur explose de reconnaiss­ance. Vous croyez cela impossible ? Essayez donc ma recette secrète : vivre en état de comédie musicale.

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Anita Ekberg dans La Dolce Vita.

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