DENIS PODALYDÈS, entre rire et mélancolie
En plein tournage des Deux Alfred, prochain longEmétrage de son frère Bruno, le comédien du Français reprend, à l’Opéra-Comique, la mise en scène sublime de tendresse et d’élégance de Fortunio, d’André Messager… Avant de s’atteler à son cinquième opéra, Falstaff, de Verdi, à l’Opéra de Lille.
Madame Figaro. – Dix ans tout juste après sa création, vous retrouvez votre cher Fortunio, premier opéra que vous avez mis en scène à l’Opéra-Comique. Ému ?
Denis Podalydès. – Très. Cet opéra d’André Messager a été mon initiation à la musique, à la lecture d’une partition. Une lecture magnifiée par ma collaboration avec le chef d’orchestre Louis Langrée, que je retrouve pour cette reprise, après bien d’autres aventures. N’étant pas du tout un familier de l’opéra au départ, je me sens privilégié de n’y avoir jamais connu de tension entre la mise en scène et la direction musicale. J’ai eu la chance de faire les bonnes rencontres. Idem avec les chanteurs. En dix ans, votre manière de les diriger a-t-elle évolué ?
Sans doute. À l’époque, j’étais très intimidé par eux, que je voyais comme des interprètes maniant un instrument étranger. Je les prenais pour des gens d’une caste différente de la mienne. Maintenant, c’est comme si nous travaillions sur le même établi. Je les considère autant comme des chanteurs que des acteurs, et je leur demande des choses que je demanderais de la même manière à des comédiens. Je me réjouis d’ailleurs de retrouver, au milieu d’une distribution presque entièrement renouvelée, le chanteur Jean-Sébastien Bou. C’est un Clavaroche magnifique, doté d’un génie comique formidable.
C’était aussi la première scénographie, à l’Opéra, de votre complice Éric Ruf, devenu, depuis, administrateur de la Comédie-Française...
Une très belle scénographie. Sans lui, je n’aurais pas su raconter cette histoire comme je le souhaitais : comme une histoire en hiver reflétant un amour empêché de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Je voulais que Jacqueline, femme mariée, partagée entre son amant Clavaroche et son amour naissant pour l’innocent Fortunio, soit comme une petite Madame Bovary. Nous cherchions des couleurs pouvant évoquer Flaubert. Mais aussi Musset, naturellement, Balzac, Maupassant.
Les couleurs de la mélancolie… Y a-t-il aussi de la mélancolie dans Falstaff, opérabouffe de Verdi, que vous vous apprêtez à monter à l’Opéra de Lille ?
Absolument ! Je cherche toujours cet équilibre entre la comédie, le rire et la mélancolie. C’est là que je suis bien. C’est une vieille leçon de Michel Bouquet, qui avait été mon maître au Cours Florent. Il disait qu’il fallait toujours rechercher l’antithèse du caractère des personnages. La part d’ombre d’un personnage comique et la part lumineuse d’un personnage sombre. Pour Falstaff, je me laisse guider par la figure d’Orson Welles. Par son film, mais aussi par son histoire à lui. Je vois en Falstaff un homme en tête à tête avec la mort. Chez qui la boursouflure du ventre dit sa vitalité, son désir excessif, mais aussi le poids qu’il est pour lui-même, et dont il veut se défaire.
Falstaff tout comme Fortunio sont au départ des personnages de théâtre. Cela rend-il la mise en scène de ces opéras plus facile ou plus délicate ?
Cela m’aide. Je me sens plus en confiance avec un livret qui puise déjà son inspiration du côté théâtral. Je crois que, si on me donnait un Wagner, je serais sans doute plus circonspect. Mais en même temps, ce qui me plaît, c’est de chercher par la musique un autre rapport au réalisme. C’est une manière de nous rapprocher d’une démarche plus poétique, la poésie étant par essence musicale.
Fortunio, du 12 au 22 décembre, à l’Opéra-Comique, à Paris. opera-comique.com
Falstaff, du 12 mai au 2 juin, à l’Opéra de Lille. opera-lille.fr