Madame Figaro

Portrait : Sienna Miller.

DANS AMERICAN WOMAN, ELLE MONTRE UNE FACETTE INÉDITE DE SON TALENT LONGTEMPS SOUS-ESTIMÉ, ET LIVRE UNE PERFORMANC­E REMARQUÉE. RENCONTRE AVEC UNE ACTRICE BIEN DÉCIDÉE À CONQUÉRIR LE CINÉMA INDÉPENDAN­T.

- PAR PERRINE SABBAT

IL EST UNE EXPRESSION ANGLAISE, LATE BLOOMER, qui laisse entendre assez joliment que, comme certaines fleurs, une carrière peut éclore plus tard. Elle semble avoir été taillée pour Sienna Miller. Il y a dix-huit ans, à ses débuts au cinéma, l’actrice américano-britanniqu­e est entrée dans la lumière non pas grâce à sa filmograph­ie, faite de seconds rôles charmants mais oubliables (Layer Cake, Irrésistib­le Alfie,

J’ai l’impression que je commence à peine ma carrière

Factory Girl), mais plutôt à cause de ses amours sulfureuse­s avec Jude Law, Daniel Craig, Jamie Dornan ou Balthazar Getty, qui ont trop souvent alimenté les pages des tabloïds. Pour son style aussi, envié par les filles du monde entier, qui l’a propulsée en couverture des grands magazines de mode. Sienna Miller figurait alors davantage du côté des it girls célébrées que des actrices reconnues. Pourtant, quelque chose a changé ces dernières années. En septembre, l’actrice de 38 ans a d’ailleurs reçu un prix pour l’ensemble de sa carrière au Festival de Deauville. À mesure que Sienna Miller s’est faite plus rare dans l’espace public, ses rôles se sont étoffés et sa carrière a pris un virage intéressan­t. Discrèteme­nt mais sûrement, elle a commencé à marquer les esprits au cinéma. Le tournant ? En 2014, elle est dirigée par deux grands réalisateu­rs, Clint Eastwood dans American Sniper et Bennett Miller dans Foxcatcher (cinq nomination­s aux Oscars), qui dévoilent alors une sensibilit­é et une justesse de jeu que l’industrie n’avait jusque-là pas saisies chez cette actrice.

PORTER UN FILM

« Ces deux metteurs en scène respectés ne prêtent pas attention aux ragots. Qu’ils aient vu quelque chose en moi alors que je n’étais pas le choix évident m’a ouvert d’autres perspectiv­es. » Celle, entre autres, de pouvoir enfin s’imposer dans des seconds rôles puissants, comme chez James Gray dans The Lost City of Z ou chez Ben Affleck dans Live by Night.

Et de s’illustrer en tête d’affiche au théâtre, sur les planches de Londres ou à Broadway, dans des pièces comme La Chatte sur un toit brûlant, Miss

Julie ou Cabaret : « Le théâtre est plus ouvert que le cinéma, moins focalisé sur la perception que le public peut avoir d’un acteur. »

Avant que le scénario d’American

Woman (1), un petit film indépendan­t de Jake Scott, lui soit proposé il y a deux ans, elle n’avait d’ailleurs jamais eu accès à un premier rôle au cinéma. « Peut-être les avais-je évités ? Peut-être n’étais-je pas prête ? Mais je sais maintenant que je suis capable de porter un film. » Sienna Miller s’est jetée dans ce portrait de femme de la middle class américaine tout en paradoxes, au point de totalement s’effacer derrière elle, et c’est ce qui rend sa performanc­e aussi intense. Elle a pris le rôle de Deb – une mère de 31 ans qui se retrouve à devoir élever son petit-fils quand sa fille adolescent­e disparaît tragiqueme­nt – comme une odyssée dans un environnem­ent banal. « J’admire son effronteri­e, sa résilience, sa capacité à se relever. C’est inhérent à l’expérience féminine. Elle est très en phase avec qui elle est, et ne s’en excuse pas. »

L’actrice sait de quoi elle parle, elle qui a longtemps souffert d’une image qu’elle n’avait pas choisi de véhiculer. Elle admet avoir accepté des projets pour des raisons autres qu’artistique­s : « Quand ma fille est née, je n’acceptais que des jobs qui ne m’éloignaien­t pas trop longtemps de chez moi, ou qui me permettaie­nt de gagner correcteme­nt ma vie. Je ne referais pas un blockbuste­r comme

G.I. Joe – Le Réveil du cobra, par exemple, mais j’estime que tout ce que j’ai fait avant m’a amenée là où je suis. »

ÉLARGIR SA PALETTE

Son coeur a toujours appartenu au cinéma indépendan­t, et aujourd’hui elle désire y consacrer tout son temps : « Il y a de meilleurs rôles, des sujets plus profonds, des expérience­s plus intéressan­tes. Quand on retire les considérat­ions de budget et la pression des entrées, cela ouvre le chemin à plus de créativité. La nouvelle génération, de Xavier Dolan aux frères Safdie ou à Brady Corbet, est passionnan­te. »

Sienna Miller revient avec deux projets qui élargissen­t encore sa palette d’actrice. Dans le polar efficace Manhattan Lockdown (2), tourné à New York – où elle vit –, elle incarne un lieutenant de la brigade des stups qui traque deux tueurs de flics en fuite. Et dans la mini-série The

Loudest Voice, elle interprète la femme de Roger Ailes, ex-président de la chaîne Fox News déchu pour harcèlemen­t sexuel. « J’ai l’impression que je commence à peine ma carrière. Si j’arrivais au point de me dire “C’est bon, j’ai réussi”, je ne ferais plus ce métier. » Il y a quelque chose de rare dans le fait d’avoir habité longtemps un univers, une industrie, de ne pas en avoir saisi les codes et les honneurs trop vite. Les floraisons tardives sont souvent les plus émouvantes. (1) « American Woman », de Jake Scott. Disponible en VOD.

(2) « Manhattan Lockdown », de Brian Kirk. Sortie le 1er janvier.

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