Madame Figaro

/Décryptage : la vitalité à portée de souffle.

BATTERIES À PLAT, MORAL EN BERNE… COMMENT REPRENDRE HALEINE ? EN INSPIRANT ! RESPIRER, C’EST S’ANCRER DANS LE PRÉSENT, SE RENDRE DISPONIBLE POUR FAIRE REJAILLIR LES FORCES QUI SE DÉROBAIENT. ET S’OFFRIR DEUX CADEAUX INESTIMABL­ES : ÉNERGIE ET SÉRÉNITÉ.

- PAR SOPHIE ABRIAT

TRENTE-CINQ ANS APRÈS SA PREMIÈRE exposition, Christian Boltanski revient au Centre Pompidou, à Paris (jusqu’au 16 mars), avec une rétrospect­ive au titre mystérieux et prometteur : Faire son temps. Explorant le glissement entre présence et absence, fabricatio­n de soi et disparitio­n du monde, cette exposition invite à un ample voyage, une délicate déambulati­on en forme de méditation, mêlant toutes les formes et tous les supports qui font l’esthétique de cet artiste unique. On contemple les oeuvres dans la pénombre, au fil des ampoules qui clignotent et au son des battements de coeur. Et voilà qu’on y découvre soudain une parenthèse calme et paisible dans nos vies trépidante­s, parfois épuisantes : l’occasion idéale pour faire une pause.

« Je n’ai pas une minute », « Je suis sous l’eau », « Je suis en apnée » : combien de fois par semaine (par jour ?) nous murmurons-nous cela ? Couper le flot des urgences est de plus en plus difficile, certes. Mais… reprendre son souffle est vital ! Alors, comment faire ? « Un des grands problèmes de notre temps est que les gens ont l’impression que s’arrêter, c’est la mort, et que courir, c’est la vie. Je n’ai rien contre l’hyperactiv­ité, mais à certains moments, courir nous épuise, et s’arrêter est une manière profonde de se ressourcer, d’être vivant », propose le philosophe Fabrice Midal *, qui aime interroger notre rapport au réel. « Il y a une résistance à vouloir s’arrêter dans notre société, car l’on considère que c’est du temps perdu », poursuit-il. Or, il existe précisémen­t un outil tout simple pour ralentir le rythme : la modulation de notre souffle.

S’ÉCOUTER

À CONDITION DE L’ENTENDRE ! « Bien souvent, constate Marion Buiatti Massin, enseignant­e de yoga, on ne se rend pas compte qu’on est en apnée, qu’on manque de souffle ou qu’on respire à l’envers… car on ne prend plus le temps d’écouter son corps. » Stress, épaules nouées, plexus bloqué, sensation d’oppression de la cage thoracique, gorge serrée : le corps porte les stigmates d’un souffle coupé. « Pour certains élèves que je reçois en cours, en particulie­r les hyperactif­s, se poser et rester immobile l’espace d’un instant pour prendre le temps de respirer profondéme­nt est très difficile, voire impossible. Car cela signifie lâcher prise », poursuit l’enseignant­e, qui insiste sur le fait que la respiratio­n a des vertus d’apaisement encore

sous-estimées. « On peut “jouer” avec sa respiratio­n, on peut agir sur son souffle pour précisémen­t calmer l’anxiété », affirme-t-elle. Des applicatio­ns, de plus en plus nombreuses naturellem­ent, proposent des exercices de respiratio­n à pratiquer au quotidien, comme RespiRelax+, qui copie le principe du métronome avec une petite bulle qui monte et qui descend, et qu’il faut suivre au rythme de sa respiratio­n. Court ou long, régulier ou non, notre souffle est influencé par les événements du quotidien. Il n’est pas seulement mécanique, physiologi­que, il est aussi spirituel. S’interroger sur notre souffle soulève « des questions qui le dépassent très largement, souligne Bruno Clément, professeur émérite au départemen­t de littératur­e française à l’Université Paris-VIII et touchent la vie, l’âme ». La vie ne s’écoule-t-elle pas « du premier au dernier souffle »? Édouard Trouillez, lexicograp­he aux éditions Le Robert, ajoute : « Le sens figuré du mot souffle est éclairant : c’est une force qui anime, inspire, crée. » « La grande idée des Grecs est qu’un poète est à l’écoute, il reçoit une force qui lui fait trouver les mots. Comme les artistes qui ont le sentiment que leur travail est d’abord d’être à l’écoute d’une inspiratio­n », détaille Fabrice Midal (qui a notamment publié Pourquoi la poésie ?, Éditions Pocket). En ce sens, retrouver la profondeur de son souffle permettrai­t d’être plus à l’écoute de soi, mais aussi de l’extérieur, donc d’être plus perméable à de nouvelles idées créatives. Chez les Romains, le terme

spiritus – esprit– vient de spirare, qui évoque le souffle ; en grec, pneuma évoque à la fois la respiratio­n et l’esprit ; en hébreu, l’âme et le souffle ne font qu’un sous le mot ruah.

PRÉSENTE !

DANS UNE ÉPOQUE vouée à l’urgence, et donc à la compressio­n, on constate bien souvent, en réunion comme lorsque l’on veut narrer un projet personnel, par exemple, que chercher sa voix, c’est d’abord… retrouver son souffle. Et alors toute sa présence. Quand on est stressé, le premier muscle à se tendre est le diaphragme : il se bloque, ne se relâche plus totalement à l’expiration. On ressent une boule au ventre et on a souvent du mal à s’exprimer… « Parler d’une voix blanche en public, ça arrive à tout le monde », rassurent Sandra Le Grand et Valérie Falala, cofondatri­ces de Yapuka, une plateforme innovante qui met en relation entraîneur­s et jeunes (ou moins jeunes) pour la préparatio­n d’entretiens oraux. « Avant de commencer à prendre la parole, lors d’un entretien d’examen, d’embauche ou tout simplement à l’occasion d’un discours, ouvrez votre torse, respirez par le ventre et surtout faites des phrases courtes, entrecoupé­es de silence pour reprendre votre souffle », conseillen­t ces spécialist­es, qui constatent que le silence est très difficile à tenir pour les élèves, car considéré comme anxiogène. « Il est pourtant clé dans la respiratio­n, qui,

elle-même, est un vrai guide : retrouver sa voix, c’est aussi trouver sa voie… », soulignent-elles. À l’inverse, l’absence de souffle est souvent synonyme de mort (suffoquer, c’est presque mourir ; expirer, c’est réellement mourir). « Certaines expression­s, comme « C’est à couper le souffle », jouent sur les deux aspects, suggérant l’émotion positive comme la perte d’élan vital », indique Édouard Trouillez. Fabrice Midal renchérit : « La respiratio­n est colorée par nos émotions et par nos pensées : c’est un miroir de notre esprit. Retrouver son souffle, c’est retrouver une forme d’énergie et de courage. »

CONNEXIONS

POUR DONNER AU SOUFFLE toute son amplitude, Marion Buiatti Massin a mis au point des cours de Blind Yoga dans les studios du Tigre Yoga Club, à Paris. On y pratique les yeux bandés afin que chacun puisse se focaliser sur son souffle sans se laisser parasiter par le regard des autres. « Dans nos sociétés occidental­es, on a tendance à aller aux cours de yoga en se disant : qui fera la posture la plus acrobatiqu­e, la plus “instagramm­able” ?, estime la prof. On se compare, on n’est pas toujours dans l’instant présent… Les yeux bandés, on est tout simplement plus attentif à sa respiratio­n, on a une plus grande conscience de soi », détaille la spécialist­e. Yoga et méditation proposent la possibilit­é de moduler notre souffle. Mais de récentes recherches scientifiq­ues indiquent aussi que la respiratio­n a une influence décisive sur notre psychisme. « Toute une série de travaux récents laissent penser que les exercices pour respirer plus longuement et plus lentement agissent directemen­t sur le cerveau », souligne Thomas Similowski, chef de service de pneumologi­e, médecine intensive et réanimatio­n à l’hôpital de la PitiéSalpê­trière, à Paris. « En 2018, des chercheurs ont montré que lorsqu’on prête attention au souffle, des régions qui n’étaient pas synchronis­ées sur la respiratio­n le deviennent ; c’est le cas du cortex cingulaire antérieur, une zone impliquée dans la conscience de soi. Moduler le souffle influencer­ait peut-être aussi certaines zones émotionnel­les du cerveau via des connexions directes avec les centres de contrôle respiratoi­re. » Sans prendre les exercices de respiratio­n comme des remèdes miracles, le professeur leur concède volontiers « un réel effet apaisant ». De quoi reprendre son souffle en fin d’année.

* Auteur, entre autres, de « Traité de morale pour triompher des emmerdes » (Éditions Flammarion/Versilio).

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