Madame Figaro

“ POURQUOI LES FEMMES ONT-ELLES PLUS DE MAL À DEMANDER DE L’AIDE ?

NOUS AVONS POSÉ LA QUESTION À JEANNE SIAUD-FACCHIN, PSYCHOLOGU­E CLINICIENN­E ET PSYCHOTHÉR­APEUTE, AUTEURE * ET FONDATRICE DES INSTITUTS COGITO’Z.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MORGANE MIEL * « S’il te plaît, aide-moi à vivre », Éditions Odile Jacob.

C’est une question profondéme­nt génération­nelle. Les femmes entre 40 et 60 ans ont été élevées dans la culture de la Wonder Woman, cette femme puissante dont on leur a beaucoup expliqué – ce qui est d’ailleurs un mythe complet – qu’elle pouvait faire plusieurs choses en même temps. On leur a appris que pour tout réussir, avoir une vie profession­nelle et une vie familiale épanouies, elles aussi devaient se montrer surpuissan­tes. Dans cette pensée collective qui puise ses racines dans les années 1980, il n’a jamais été question de “prendre soin de soi”. Ce n’était pas vraiment le pitch. L’idée était plutôt : réussis ! Le reste viendra de surcroît. C’est ce qui a conduit beaucoup de femmes à s’épuiser en portant souvent, dans le coeur, la haine de cette vie-là. »

LA TYRANNIE DU KOMBUCHA

« La génération des 20-40 ans marque une rupture. Pour elles, ce qui compte avant tout, c’est le développem­ent personnel – le fameux “prendre soin de soi”, et autres injonction­s totalement épuisantes : non seulement il faut réussir sa vie profession­nelle, familiale et de couple, mais en plus, maintenant, il faut aussi réussir à être heureux. Et les jeunes femmes ont des to do lists à rallonge remplies de cette injonction au bonheur. Mais qu’est-ce que ça veut dire “réussir à être heureux” ? On leur explique que si elles méditent le matin, qu’elles boivent du kombucha à 16 heures et s’octroient un massage ayurvédiqu­e par semaine, tout ira mieux. Mais c’est complèteme­nt faux.»

SE MONTRER VULNÉRABLE

« Les femmes qui arrivent dans mon cabinet me disent : “Être là, devant vous, malgré toute l’énergie investie, les stratégies mises en place pour que tout roule, est un aveu d’échec”. Elles ont du mal à demander de l’aide, car demander de l’aide, c’est dire : “Je suis vulnérable et j’ai peur”. Elles qui se sont tant battues pour leur indépendan­ce se sentent comme une petite fille qui vient pleurer auprès de sa maman. Elles le vivent comme un rétropédal­age.

Moi, je dis que ces femmes n’ont pas besoin d’un psy ni d’une thérapie : elles ont besoin d’un câlin, qu’on les prenne dans les bras, qu’on leur dise tout simplement, en leur caressant le front : ne t’inquiète pas, ça va aller. »

UN POUVOIR IMMENSE

« Demander de l’aide, c’est très courageux – au sens étymologiq­ue du mot courage, qui vient de coeur. C’est se montrer vulnérable, le coeur grand ouvert. À l’inverse de la plainte – qui finit par mettre un écran entre soi et les autres. Et cela donne un pouvoir immense, car on accepte d’avoir soi-même besoin d’eux. De ne pas être tout-puissant. Cette part d’humanité est ce qui nous relie aux autres, ce qui fait qu’ils se sentent solidaires. Demander de l’aide nous remplit avant même de l’avoir reçue. On devient plus légère, on a de l’air, on respire, on s’ouvre. Et ça fait un bien fou. »

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