Madame Figaro

BATHYLLE MISSIKA

CHEF DE DIVISION À L’OCDE, 41 ANS, 3 ENFANTS

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À quelle heure quittez-vous le travail ?

« À 19 heures. Je dois être rentrée à 19 h 30 pour le départ de la nounou de ma fille (18 mois). Plus tôt dans la scolarité de mes aînés, j’ai imposé un moment avec mes enfants au milieu de la journée : j’allais les chercher à l’école le mardi et je n’étais pas joignable entre 16 et 17 heures. Je les ai sans doute sacrifiés davantage le reste du temps, parce qu’entre 30 et 40 ans, il y a cette marche qu’il ne faut pas rater. J’ai beaucoup travaillé le soir et le week-end. J’ai vu les premiers pas de mon deuxième fils en 2010, alors que j’étais en voyage profession­nel en Haïti, sur une vidéo YouTube faite par mon mari… Aujourd’hui, si un voyage n’est pas indispensa­ble ou que quelqu’un peut y aller à ma place, je ne pars plus. Et je ne rate plus l’accompagne­ment du matin à l’école. Récemment, pour une conférence téléphoniq­ue, j’ai dit : “Vous me connectere­z dans ma voiture, mais je ne passerai pas mon tour !”»

Votre secret pour que ça fonctionne ?

« Le calendrier de mon iPhone ! Mes vingt collaborat­eurs y ont accès. Rendez-vous médicaux, obligation­s personnell­es, tout y figure. Je veux montrer à mon équipe qu’on peut avoir une culture basée sur les résultats et ne pas être là tout le temps. À leur place, avec un management plus masculin et plus âgé, je n’ai jamais eu cet exemple, alors je pense au jour où ils seront à leur tour managers. Ça n’efface pas la culpabilit­é de partir tôt, mais ça aide ! » et pose la sempiterne­lle question du partage des tâches dans le couple.

« Depuis deux ans, explique Éléna Fourès, consultant­e en leadership, fondatrice du cabinet Idem per Idem, on observe que les postes à responsabi­lité ne trouvent plus preneuses en interne. Ce n’est pas l’expertise qui manque, c’est l’envie. » Le modèle basé sur la réussite à tout prix serait-il dépassé ? « Il y a quelques années, par la promesse d’une carrière, on rendait les gens fidèles. C’était presque un honneur d’être en CDI dans une grande entreprise, explique une gestionnai­re de carrières à haut potentiel. Aujourd’hui, on assiste à de nombreuses démissions, la plupart du temps liées au manque de flexibilit­é dans le travail. »

CCristalli­sation de l’équilibre entre la vie privée et la vie profession­nelle, les horaires sont au coeur du problème. À quelle heure quitter le bureau sans que cela nuise à ma progressio­n ? Comment ne pas me sentir coupable de partir tard… ou tôt ? « À l’ère du télétravai­l, du smartphone, le modèle français n’est plus désirable, poursuit Éléna Fourès. Aux États-Unis ou au Danemark, si vous n’êtes pas partis à 17 heures, c’est que vous travaillez mal ou que vous êtes désorganis­és. »

Une cadre d’un grand groupe français ajoute : « Les nouvelles génération­s ne veulent plus sacrifier leur vie privée, elles sont très cash à ce sujet. Et elles ont raison : autour de moi, je connais des gens qui n’ont pas vu leurs enfants grandir, d’autres qui n’ont rien construit. Il faut être prudent : vous pensez être arrivé à ce que vous souhaitiez profession­nellement et, soudain, vous vous retournez pour vous dire : “Tout ça pour ça ?” Ce jour arrive plus vite qu’on ne le croit. »

Élevées dans la course à l’excellence, les femmes trentenair­es et quadra comptent bien réussir partout, au travail… et à la maison. « On ne peut pas tout avoir », dit le dicton populaire. « Pas en même temps », rectifient-elles. Faire carrière, élever ses enfants, prendre du temps pour soi et pour son couple : ces femmes ont décidé de ne pas choisir. D’ailleurs – et c’est peut-être la nouveauté –, elles s’autorisent même davantage de liberté, au fur et à mesure qu’elles progressen­t en leadership. À méditer… * Réalisé auprès de 1 001 cadres âgés de 18 à 39 ans, du 23 au 29 juillet 2018.

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