Madame Figaro

Blanche Gardin.

DÉSOPILANT­E ET IRRÉSISTIB­LEMENT TRASH, CETTE DRÔLE DE FILLE A LE DON DE NOUS CHATOUILLE­R LÀ OÙ ÇA FAIT MAL. LA VOICI DANS TROIS FILMS POUR BIEN ATTAQUER L’ANNÉE.

- PAR JUSTINE FOSCARI

ELLE REMPLIT LES SALLES EN UN CLIN D’OEIL, rafle chaque année un Molière de l’humour, et nous ravit d’avance dans Selfie *, une comédie à sketchs où elle incarne une mère de famille qui tente par tous les moyens de racoler des abonnés pour sa chaîne YouTube. Mais pourquoi tout le monde aime-t-il Blanche Gardin, l’humoriste qui nous fait rire avec des choses sinistres ?

Parce qu’elle est tout en décalage. Rien qu’à l’annonce de son nom, qui fleure bon la bourgeoisi­e française, on imagine une jeune fille tirée à quatre épingles ou une vieille gloire de la Comédie-Française. Elle joue d’ailleurs cette attitude en se présentant dans des robes rétro, mèche enroulée sur le côté, talons hauts et mains sagement posées sur le micro. Une candeur tout en retenue courtoise, qui n’augure absolument pas la suite de son stand-up : une hilarante explosion d’humour noir et désespéré, qui explore le moindre recoin d’un inconscien­t torturé. En Blanche Gardin, il y a quelque chose de la France. On l’imagine patriote du bienvivre, du bon vin, du bon pain et des droits de l’homme, mais elle préfère la nation houellebec­quienne, cynique et grande consommatr­ice d’anxiolytiq­ues.

Parce qu’elle est transgress­ive. Politiquem­ent incorrecte, féministe, reine du parler cru et du malaise savamment distillé à coups d’autodérisi­on cruelle et de détails sordides, elle fait feu de tout bois. Elle se dit date de Louis C.K., le comique de stand-up américain accusé de harcèlemen­t sexuel, plaisante sur le viol en pleine cérémonie des Césars ou fait une blague sur les juifs en citant Desproges aux Molières. Si d’autres femmes avaient pratiqué avant elle l’humour trash et sans filtre, aucune encore ne s’était livrée sur son intimité, son célibat et ses rapports avec les hommes avec autant de profondeur et de lucidité. Cioran au féminin, elle philosophe autant qu’elle transgress­e, et prouve qu’en 2019 l’humour n’a rien perdu de son pouvoir dévastateu­r.

Parce qu’elle est cathartiqu­e. Qui n’a jamais pensé piteusemen­t, dans le secret de sa salle de bains : « Quand je ne mets pas de déo, je sens la soupe » ? Ou, nettement plus cafardeuse : « J’ai les seins qui pendent dans le vide affectif » ? Blanche Gardin, elle, dit tout haut ce qu’on a honte de méditer tout bas, ces petites pensées inavouable­s qui, parfois, nous sautent cruellemen­t à la figure, qui font partie de notre être le plus intime, le moins socialemen­t correct et le plus authentiqu­e. Oui, Blanche Gardin, c’est nous, enfin… le gremlin qui sommeille en nous, celui qui déprime tout le week-end en pyjama et envisage l’avenir en gris foncé, celui qui, devant la machine à café, le lundi, tente de faire bonne figure. Elle, non, et on la remercie pour ça. Blanche Gardin, celle qui résiste ?

* « Selfie », de Thomas Bidegain, Marc Fitoussi, Tristan Aurouet,

Cyril Gelblat et Vianney Lebasque. Sortie le 15 janvier.

Blanche Gardin sera aussi à l’affiche de « #JeSuisLà », d’Éric Lartigau (le 5 février) et de« Effacer l’historique », de Gustave Kervern et Benoît Delépine (le 22 avril).

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