Madame Figaro

Entretien : avec Clara Luciani.

TOUTES DEUX, DERRIÈRE LEUR FRANGE, AFFICHENT UNE ALLURE LIBRE ET FRONDEUSE. ENTRE L’ICÔNE DE MODE COOL CHIC ET LA JEUNE CHANTEUSE POP ROCK, LE LIEN DE SORORITÉ EST ÉVIDENT. ÉCHANGES EN TOUTE INTIMITÉ.

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ELLE LUI LANCE : «DEQUEL SIGNE ES-TU ? Moi, Verseau. » Réponse amusée de Clara Luciani à Caroline de Maigret : « Je suis Cancer. On est compatible­s ? » Pas besoin d’un astrologue pour répondre. On voit d’emblée que ces deux-là sont faites pour s’entendre. Le physique, d’abord, tellement similaire que l’on peut aisément les prendre pour des soeurs. Longs cheveux châtains lisses, frange, corps longiligne aux jambes télescopiq­ues, sourire éclatant qui vient facilement. Ce n’est pas un hasard si Clara a invité Caroline dans le clip de sa chanson Ma soeur, qui est d’abord un éloge de sa soeur aînée, la musicienne Léa Luciani, rebaptisée Ehla, et plus généraleme­nt un hymne à la sororité. Clara se reconnaît en Caroline, et vice versa. La première a 27 ans et a imposé en un temps record sa pop rock langoureus­e dans le paysage musical français. Révélation scène des Victoires de la musique 2019, en tournée partout en France, elle vient de sortir une réédition de son album phénomène, Sainte-Victoire, avec cinq nouveaux morceaux. La seconde, à l’aube de ses 45 ans, est devenue une icône de la mode, l’incarnatio­n de la Parisienne cool et inspirante. En 2014, elle a coécrit le best-seller How to Be Parisian Wherever

You Are, et publie aujourd’hui aux États-Unis, un deuxième ouvrage,

Older, But Better, But Older (Éditions Ebury Press), qui questionne avec humour le fait de vieillir. Elle réalise également des petits films pour Chanel, dont elle est l’ambassadri­ce, et écrit son premier court-métrage. Alors qu’est-ce qui relie l’auteure du tube explosif La Grenade et l’emblème du chic à la française ? Il y a la musique, évidemment – Caroline, qui a monté en 2006 avec son compagnon Yarol Poupaud le label Bonus Tracks Records, fermé depuis, a toujours

gardé un pied dans ce secteur. Il y a aussi ce goût certain pour la mode contempora­ine et cette liberté d’esprit qui les animent au quotidien. Quand on a proposé à Caroline de choisir quelqu’un avec qui converser pour ce numéro, dont elle est l’invitée spéciale, la réponse a fusé : Clara.

MADAME FIGARO. – Comment votre amitié est-elle née ?

CAROLINE DE MAIGRET. – Une de mes amies était styliste sur le premier clip de Clara pour la chanson Pleure, Clara pleure

(en 2017, NDLR), que j’avais trouvé magnifique. Je l’ai donc posté sur Instagram. Puis nous nous sommes rencontrée­s quelques mois plus tard au Zénith, à Paris, dans les coulisses du concert de La Femme, groupe dans lequel Clara chantait.

CLARA LUCIANI. – Caroline est l’une des premières à m’avoir soutenue.

Caroline, qu’est-ce qui vous plaît chez Clara ?

C. de M. – J’aime la femme, ce qu’elle représente, son style intemporel. Elle est intègre dans ses choix artistique­s, un esprit qui a toujours guidé aussi ma propre façon de travailler. C’est une grande bosseuse, mais elle sait garder de l’humour et de la distance. Elle prend du plaisir, elle est dans l’instant. Je suis également fascinée par son talent. Elle a réussi à construire une image forte et unique en très peu de temps.

On a beaucoup souligné votre ressemblan­ce. Cela vous amuse ?

C. L. – C’est surtout qu’elle va au-delà du physique. Plus je connais Caroline, plus je me rends compte de nos affinités.

C. de M. – On a la même voix grave, on rigole bêtement des mêmes choses, on a un grand corps dont on ne sait pas trop quoi faire. C’est déstabilis­ant pour les gens, mais aussi pour nous. On a même découvert que nos mères sont nées toutes les deux un 9 février !

Ni l’une ni l’autre ne dégagez une féminité premier degré. Cela passe par quoi la féminité en 2020 ?

C. de M. – Si je porte un jean, une frange, c’est parce que c’est ce qui fonctionne le mieux avec mon corps et avec ma personnali­té. Mais ce que j’aime avant tout chez les femmes, c’est un geste, un mouvement de main, une nuque qui se dévoile.

C. L. – Je trouve difficile de définir la féminité. Il n’y en a pas une seule mais une multitude. La mienne, par exemple, est inconscien­te. Je n’ai jamais rien fait pour correspond­re à l’idée de la petite poupée.

Et dès qu’on m’emmène sur ce terrain, je suis mal à l’aise.

Caroline, vous qui soutenez la jeune génération, qu’avez-vous envie de transmettr­e à Clara ?

C. de M. – Je suis plus dans le partage avec Clara que dans l’idée de transmissi­on. On apprécie toutes les deux la littératur­e, le romantisme français, et on adore en parler. On aime aussi échanger sur nos expérience­s, comme celle de s’engager quand on devient un personnage public, sans se faire dépasser.

C. L. – Je lui demande quand même des conseils sur l’amour. J’ai l’impression qu’on appartient à la même famille de femmes. C’est enrichissa­nt de pouvoir parler avec quelqu’un qui vous comprend.

Clara, voyez-vous Caroline comme un mentor ?

C. L. – Je la vois comme un exemple de femme que j’aimerais être. Je ne l’ai pas invitée dans le clip de Ma soeur uniquement pour notre ressemblan­ce, même si cela m’amuse. C’est aussi parce que je l’admire, elle et sa façon d’être libre. Voilà quelque chose que je pourrais lui emprunter : être à l’aise avec son image. Peut-être que ça viendra, mais pour l’instant, la moindre photo et le moindre plateau télé me terrifient.

Les réseaux sociaux rendent-ils la célébrité plus difficile à appréhende­r ?

C. de M. – Pour quelqu’un dont le métier passe par l’image, c’est important. C’est une voix que l’on ne serait pas en mesure d’exprimer ailleurs. Je peux aussi partager des choses qui m’amusent ou qui m’intéressen­t : un artiste, un livre...

C. L. – J’ai eu la chance que tout se soit fait progressiv­ement. On pense que le succès de La Grenade a été immédiat. Mais la chanson a mis un an à passer à la radio, et peut-être encore un an de plus à devenir un tube. Et ça me va très bien comme cela, je crois que je n’aurais eu ni les épaules

On appartient à la même famille de femmes

CLARA LUCIANI

ni le caractère pour vivre un buzz médiatique. Et tant mieux si encore aujourd’hui on ne me reconnaît pas. Dans un taxi, il arrive qu’une de mes chansons passe à la radio et que le chauffeur ne réalise même pas que je suis assise à l’arrière.

La musique a-t-elle joué un rôle d’émancipati­on dans vos vies ?

C. L. – Plus que cela, elle m’a sauvée. J’ai l’impression de n’être rien sans ma musique. Je me suis aussi toujours sentie profondéme­nt adulte. Je crois que ma taille y est pour beaucoup. À l’adolescenc­e, on a très rapidement cessé de me traiter comme une enfant.

C. de M. – Adolescent­e, la musique était mon seul focus de rébellion. Je pouvais m’enfermer dans ma chambre et écouter ce que je voulais. Et mes sorties étaient réservées aux concerts. Quand j’étais mannequin, la musique m’a aussi permis de faire autre chose et de me réinventer en tant que femme.

Caroline, n’avez-vous jamais essayé de chanter ?

C. de M. – J’ai la même panique devant un micro que Clara devant un appareil photo ! Yarol a tenté de me faire chanter, mais je chuchotais tellement qu’il a laissé tomber. La chanson requiert beaucoup de travail.

C. L. – Pourtant, le mannequina­t, être à l’aise avec son image, ce n’est pas non plus une sinécure ! Quel travail aussi pour arriver, comme toi, à se sentir complèteme­nt libre devant un appareil photo.

Moi je suis loin d’en être là.

Caroline, votre nouveau livre, Older, But Better, But Older, parle du fait de vieillir, des avantages et des inconvénie­nts. On se bonifie avec l’âge ?

C. de M. – Avec mon amie et coauteure Sophie Mas, on avait envie de raconter d’une façon drôle et honnête comment faire face aux petites surprises que la vie vous réserve au fil des années. Comme, par exemple s’entendre dire tout à coup « madame ». Avec le temps, et en travaillan­t sur soi, on apprend à mieux se connaître, et cela aide à supporter les déceptions, amoureuses ou profession­nelles. On réalise aussi que la vie, c’est maintenant et pas dans trois semaines. Quel soulagemen­t ! En revanche, il est moins agréable de se regarder dans un miroir et de voir ses traits moins lisses, plus fatigués. J’adorerais avoir le courage de faire des injections, mais j’ai trop peur que cela ne transforme mon visage. Je veux être la meilleure version de moi-même, pas une autre. Autre problémati­que : la peau a un âge mais dans la tête, c’est différent.

C. L. – C’est cette société du jeunisme qui est angoissant­e. Comme si les femmes n’avaient pas le droit de vieillir. Alors on passe notre temps à étaler des crèmes anti-âge sur le visage. Les propos de personnage­s publics, comme Yann Moix, n’aident pas non plus. La vérité est pourtant la suivante : non seulement on se bonifie avec l’âge, mais on apprend aussi à s’aimer.

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Clara Luciani et Caroline de Maigret.

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