Interview : Françoise Laborde et le sexisme dans les médias.
LA JOURNALISTE EST À L’ORIGINE D’UNE CHARTE POUR LA PARITÉ ET CONTRE LE HARCÈLEMENT DANS LES MÉDIAS. LE GROUPE FIGARO EST L’UN DES 68 SIGNATAIRES. DÉCRYPTAGE.
LUTTER CONTRE LES DISCRIMINATIONS SEXISTES DANS LES RÉDACTIONS, telle est la tâche de longue haleine que s’est fixée, depuis 2011, l’association Pour les femmes dans les médias (PFDM). Il y a deux ans, elle rédigeait une charte afin d’y promouvoir la parité et la sécurité des femmes. Le 21 janvier, dans les salons du ministère de la Culture, une cinquantaine d’entreprises – dont le groupe Figaro – ont rejoint les dix-sept premiers signataires. Entretien avec Françoise Laborde, fondatrice de PFDM et initiatrice de la charte.
MADAME FIGARO. – Pourquoi avez-vous décidé de créer l’association Pour les femmes dans les médias ?
FRANÇOISE LABORDE. – J’appartiens à une génération pour qui les postes à responsabilités étaient très rarement ouverts aux femmes. À l’époque, en 2011, beaucoup disaient que le féminisme était dépassé, mais j’ai eu l’idée de monter une association avec quelques pionnières, comme Simone Harari, Laurence Bachman ou France Zobda, pour s’entraider. Depuis 2015, avec les Trophées des Femmes précieuses, nous avons couronné l’association Prenons la une et la documentariste Manon Loizeau pour son travail sur la Syrie. Nous avons aussi collaboré avec les Ateliers du féminisme populaire pour encourager toutes les femmes, pas seulement les journalistes.
L’idée de faire signer une charte aux rédactions s’est-elle imposée rapidement ?
Oui, parce que nous connaissions toutes de nombreux cas de harcèlement, avant même l’affaire Weinstein. Les blagues sexuelles et graveleuses faisaient partie du rituel, c’étaient des codes de virilité qu’il fallait soit reproduire, soit subir pour entrer dans le monde médiatique. Il fallait expliquer aux hommes qu’un compliment fait à une collègue devrait être
« Ton reportage est formidable » plutôt que « Ton jean te va bien ». Il fallait faire quelque chose de concret.
Qu’avez-vous pensé du scandale de la Ligue du LOL (cyberharcèlement mené par des hommes de médias, mis au jour en 2019, NDLR) ?
J’ai tout de même été étonnée que la jeune génération n’ait pas intégré les notions d’égalité femmeshommes. Est-ce que le sentiment de toute-puissance et d’impunité avait grandi avec les réseaux sociaux ? Peut-être. Je pense surtout que la permissivité post-soixante-huitarde est responsable : elle s’est faite sur le dos des femmes, à qui l’on pouvait désormais tout reprocher, même d’« être coincée » ou « pas drôle ». Il a longtemps fallu faire le dos rond pour éviter ces étiquettes, et donc baisser la tête devant l’idée que le graveleux ou le misogyne, était sympathique.
Ça a donné Denis Baupin chez les Verts, Gabriel Matzneff en littérature, et la Ligue du LOL dans les rédactions.
Aujourd’hui, avec 68 signataires, quel pouvoir peut avoir la Charte pour les femmes dans les médias ?
Nous avons mis au point cette charte il y a deux ans, avec plusieurs points : recruter et promouvoir de façon paritaire, ouvrir un espace d’écoute pour les victimes ou les témoins, faire de la prévention sur le harcèlement sexuel dès l’embauche de nouveaux collaborateurs et collaboratrices. Lors de la cérémonie de janvier, le vice-président de M6, Thomas Valentin, a remercié la Charte, car grâce à elle, il a mis en place des dispositifs (cellule d’écoute, référent, affichage). En l’espace d’un an, nous sommes passées de 17 signataires à 68. Tous s’engagent à prendre en compte les violences sexistes, à lutter contre le plafond de verre, qui existe encore dans notre milieu professionnel (70 % des rédacteurs en chef sont des hommes, NDLR). Nous avons espoir que cela ne soit pas que pour la beauté du geste.