Madame Figaro

Municipale­s 2020 : Anne Hidalgo.

DONNÉE FAVORITE DANS LES SONDAGES POUR LES ÉLECTIONS MUNICIPALE­S DE MARS, TOUT EN ÉTANT BOUSCULÉE PAR UNE VILLE EN ÉBULLITION, LA MAIRE DE PARIS LIVRE UN VISAGE PLUS INTIME EN RÉPONDANT À ÉLISABETH QUIN.

- PAR ÉLISABETH QUIN

MADAME FIGARO. – Votre bilan et vos promesses vont être scrutés. L’objectif annoncé de zéro émission de gaz à effet de serre en 2030, est-ce réaliste ?

ANNE HIDALGO. – Nous avons fait baisser de 15 % les émissions de CO2 liées aux voitures. 2024, ce sera la fin du diesel. Vous allez sentir à plein nez la différence si vous êtes parisiens. Oui, je désire que 2030 marque la fin des véhicules à moteur thermique dans Paris. Nous développon­s également la géothermie, ainsi que le recyclage des déchets et la récupérati­on de la chaleur produite par les data centers.

La piscine de la Butte aux Cailles, dans le XIIIe arrondisse­ment, est chauffée de cette façon. La créativité face aux défis environnem­entaux est essentiell­e.

L’objectif 100 % vélo, c’est formidable et vertueux, mais les travaux qui ont engorgé la capitale pendant des années ont-ils été précédés d’explicatio­ns ? La pédagogie a-t-elle été à la hauteur ?

Quand on change de modèle et que ce changement est brutal, il faut des explicatio­ns pour convaincre les réfractair­es. Au début des projets d’aménagemen­t, c’était assez compliqué à faire…

Il y a eu du brouillage sur la ligne entre la mairie et les administré­s.

La faute à qui ?

Venir s’expliquer dans les médias était difficile, je me retrouvais toujours dans la position de l’accusée, et le lobby du diesel, nommons-le, qui jouait gros, a tout fait pour empêcher que le message soit diffusé sans distorsion­s. La rationalit­é a disparu du débat. Nous savions que ce serait monstrueux, et ça l’a été ! Nous avons mis nos gilets pare-balles. Mais j’ai le sentiment que la grogne s’est calmée…

Les travaux sont presque finis ! Mais les embouteill­ages continuent…

Les gens ont compris que ce changement de modèle est inéluctabl­e, que nous ne

vivrons plus jamais comme avant. La jeune génération a bougé.

Les ados, y compris ceux nés au sein des classes dirigeante­s hostiles au changement, ont convaincu leurs parents qu’il est nécessaire de mettre plus de vélos et moins de voitures à essence dans nos villes. Vous parlez d’expérience ?

Oui, j’ai un fils adolescent très impliqué dans l’écologie.

Vous circulez à vélo dans Paris ? Oui, sur un vélo avec assistance électrique ou sur un vélo traditionn­el. J’utilise les deux, mais à la maison j’ai des puristes qui m’engueulent à cause des métaux rares de la batterie, dont l’extraction entraîne des ravages environnem­entaux. Eux font tout à la force du mollet, moi j’alterne !

À quand remonte votre prise de conscience écologique ?

À l’adolescenc­e. Je suis née en 1959, et je me souviens très bien de la campagne pour l’élection présidenti­elle de 1974, avec l’ingénieur agronome René Dumont. À 17 ans, je m’intéressai­s au féminisme, aux utopistes, comme Dumont, et à l’anthropolo­gie à travers les ouvrages sur les tribus amérindien­nes des forêts primaires. À 20 ans, j’ai été saisie par les angoisses liées au nucléaire, notamment avec la parution du roman postapocal­yptique de Robert Merle, Malevil.

Dans son essai Le Siècle vert, Régis Debray se félicite de la croissante féminisati­on de nos sociétés, « barrage contre le suicide collectif, puisque la domination des mâles et la destructio­n de la nature sont allées de pair, l’une n’allant pas sans l’autre ». Féminisme et écologie doivent marcher main dans la main ?

Je suis assez d’accord.

Il y a quelque chose de l’ordre de l’appropriat­ion dans les deux cas.

La force physique est à l’oeuvre pour dominer et asservir les femmes ou pour extraire et ravager. D’un monde construit sur l’appropriat­ion, on entre dans un monde qui misera sur la coconstruc­tion, le partage, le recyclage, le localisme, la vie, quoi ! Dit comme ça, c’est utopique, mais nous pouvons le mettre en pratique.

Rachida Dati, votre adversaire dans la bataille pour la mairie de Paris, vous estime, vous respecte, et le fait savoir.

C’est totalement réciproque. Elle a opté pour une famille politique, moi pour une autre, mais je l’ai vue se battre courageuse­ment contre des attaques viles liées en partie à son genre et à ses origines. Elle a un instinct de survie, une intelligen­ce et une vitalité hors du commun.

L’assignatio­n aux origines sociales modestes, vous l’avez connue ?

Toute petite, j’ai pris conscience de l’étiquette « fille d’immigrés ». Quand j’étais au collège, on a dit à mon père que secrétaire de direction,

« ce serait déjà bien pour elle »… Heureuseme­nt mes parents m’ont transmis la conviction qu’aucun rêve n’est trop beau, même pour un enfant d’immigrés.

Avez-vous souffert de sexisme au cours de votre carrière politique ?

Tout le temps ! Jeune, dans les congrès internatio­naux : les hommes plus âgés qui vous proposent de les rejoindre dans leur chambre. Des réflexions, des regards qui vous chosifient, des commentair­es misogynes, l’air de rien. C’est pénible. Je me suis calmée par rapport à ça, j’ai de l’expérience, je sais rembarrer et me défendre. Mais ma responsabi­lité aujourd’hui est d’aider les jeunes femmes à lutter contre ces réflexes machistes archaïques.

Quelle est la chose la plus étrange qu’on ait dite sur vous ?

Que je suis une femme

potomitan. Ça me plaît. C’est un mot antillais désignant la femme qui soutient la maison.

Karl Lagerfeld est mort il y a un an. Je me souviens de votre émotion en lui remettant la médaille de la Ville de Paris sous la verrière du Grand Palais, en 2017.

Je l’ai rencontré bien avant d’être maire. Chaque fois que je le voyais, c’était un moment merveilleu­x. Il adorait la politique et ses femmes fortes. Il m’avait mis dans cette catégorie aux côtés de Martine Aubry et de Brigitte Macron. Un honneur. Je l’aimais beaucoup…

Il était un bibliophil­e passionné. Votre dernier livre lu ? Encre sympathiqu­e, de

Patrick Modiano, et Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie, offert par ma fille.

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