Madame Figaro

PAULE, 84 ans, retraitée

“TOUS LES JOURS DES SOUTIENS-GORGE SPLENDIDES…”

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« J’ai eu quatre soeurs aînées, toutes avec de beaux gros seins, qui me menaçaient, moi la petite dernière : “Tu n’en auras jamais !” Quel soulagemen­t quand c’est arrivé ! Depuis mes 17 ans, je peux le dire : je me sens fière de ma belle poitrine. Jeune, j’ai porté de grands décolletés, j’aimais qu’on regarde mes seins, sûrement pas qu’on essaye de les toucher. L’été, je portais des petits triangles de tissu, jamais les seins nus sur la plage. Et j’ai toujours aimé les soutiens-gorge. Aujourd’hui ? Je suis divorcée, je marche avec un déambulate­ur, il faut qu’on m’aide pour m’habiller, mais je mets tous les jours des soutiens-gorge splendides, avec de la dentelle, blanc, noir, beige… »

pour une extraction de tumeur ou une ablation. Celles que j’ai rencontrée­s ont témoigné de cette expérience puissante de dépossessi­on qu’elles ont éprouvée. Certaines engagent un véritable combat avec les médecins pour ne pas subir ensuite une reconstruc­tion, plus des deux-tiers des femmes concernées en fait ! Pour les hommes chirurgien­s, c’est quasiment impensable car, de leur point de vue, il faut restaurer ce qui est l’organe du féminin par excellence. Là encore, on touche à cette question centrale de savoir si les seins des femmes leur appartienn­ent.

Vous croyez à une libération ?

En commençant l’enquête, je pensais que la volonté de ne plus porter de soutien-gorge émanait d’une minorité de femmes jeunes et bien dans leur corps. Or je me suis rendu compte que beaucoup y aspiraient. Vivre sans soutien-gorge, avoir la possibilit­é de nager torse nu à la piscine, choisir ces nouveaux modèles sans armatures que sont les « bralettes » en dentelle souple, cela dit quelque chose d’important : libérer les seins de leurs carcans de tissu, réclamer qu’ils deviennent invisibles en quelque sorte ; c’est dire aussi : « Vous n’en ferez pas ce que vous voudrez car ce sont mes seins. » Je crois qu’il faut du temps à une femme pour en quelque sorte rencontrer ses seins, les aimer et en jouir, car ils sont aussi un organe de plaisir, on oublie trop souvent de le dire. J’ai pu observer au fil de l’enquête que les seins étaient le lieu d’une expérience vécue spécifique­ment féminine, j’entends par cet adjectif, « féminin », l’idée d’un rapport à soi et au monde qui passe nécessaire­ment par le corps. La dimension aliénante du corps des femmes est aujourd’hui bien repérée : j’ai aussi voulu montrer que ce corps pouvait être le lieu d’une libération et qu’elle pouvait passer par les seins. J’espère avoir réussi à en faire la démonstrat­ion !

(1) À paraître le 5 mars aux Éd. Anamosa.

(2) « Le Corps des femmes : la bataille de l’intime », Philosophi­e Magazine Éditeur, 2018. Et également « La Révolution du féminin », à paraître le 5 mars chez Folio Essais. (3) « Les 100 Mots de la sexualité », sous la direction de Jacques André, Éd. PUF.

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 ??  ?? Pour défendre les droits des femmes, les Femen mènent des actions seins nus, comme ici dans le quartier de la prostituti­on de Sankt Pauli, à Hambourg.
Pour défendre les droits des femmes, les Femen mènent des actions seins nus, comme ici dans le quartier de la prostituti­on de Sankt Pauli, à Hambourg.
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En 1981, une campagne publicitai­re et son célèbre slogan mettent la France en émoi et créent la polémique.
 ??  ?? Madonna sur scène en 1990, parée d’un néobustier signé Jean Paul Gaultier, mêle humour et provocatio­n.
Madonna sur scène en 1990, parée d’un néobustier signé Jean Paul Gaultier, mêle humour et provocatio­n.

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