Madame Figaro

Photo, ciné, série, théâtre, expo…

- PAR ANNE-CLAIRE MEFFRE

La photograph­e marseillai­se Marie Bovo, née en 1967 à Alicante et représenté­e par la galerie Kamel Mennour, expose à la Fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris, cinq belles séries, dont deux récentes, et deux vidéos, toutes liées par la nuit. Des cours de Marseille à celles d’un village ghanéen, en passant par un campement rom, un kebab marseillai­s (ci-dessus) et les fenêtres d’Alger, elle nous emmène dans une balade autour du quotidien et de ses intervalle­s révélateur­s.

Madame Figaro. – Pourquoi ce titre, Nocturnes ?

Marie Bovo. – La nuit est une dimension qui traverse mon travail. Elle m’a toujours intéressée pour une infinité de raisons : la lumière, ce qui apparaît et disparaît… La nuit offre une temporalit­é différente : ce ne sont pas les mêmes personnes, les mêmes circulatio­ns. Les décors sont transfigur­és. C’est un temps paradoxal, suspendu, qui agit un peu comme une parenthèse. J’essaie toujours de travailler à l’échelle d’une journée pour entrer dans le quotidien. La nuit donne le cycle et est aussi une échappée. J’aime particuliè­rement l’aube et le coucher du soleil, ce qu’on appelle « l’heure bleue », deux moments où l’on est perdu dans le temps : impossible de savoir si le jour se lève ou si c’est la nuit qui tombe. Comment travaillez-vous ?

J’utilise toujours la lumière naturelle. La lumière dit énormément de choses d’un lieu. Par exemple, dans le campement de Roms, au début de la série on voit tout, parce qu’il y a des lampadaire­s. Au fur et à mesure, ils les ont cassés pour dissimuler le camp, donc la série progresse vers le nocturne. Ajouter de la lumière trahit la réalité. Je ne photograph­ie pas les gens, mais les traces de leur vie. Lorsqu’on voit quelqu’un, cela donne une échelle, le spectateur se positionne. Je cherche à suspendre le jugement, à regarder sans adjectiver, sans remettre dans un système de valeurs et de significat­ions.

Une de vos nouvelles séries se déroule au Ghana. Racontez-nous…

J’y ai été invitée par une entreprise marseillai­se, La Compagnie fruitière, qui y détient des plantation­s labellisée­s Commerce équitable. Je suis restée trois mois dans le village de Kasunya. Les deux repas importants, le matin et le soir, ont lieu dans les cours, devant les maisons. Il y a très peu d’électricit­é, tout se fait au feu de bois. Les femmes, les enfants mettent en place le repas, puis ils vont chercher les autres. J’ai photograph­ié cet intervalle, l’eau qui bout, le feu, parce que ces objets livraient quelque chose de la vie intime des habitants. J’y ai aussi tourné des petits films, comme des contes, dans le bus qui emmène les ouvriers au travail le matin et les ramène le soir.

L’autre série récente s’appelle En Suisse, le Palais du Roi. De quoi s’agit-il ? C’était le nom d’un kebab de Marseille, dans le quartier de Noailles. Sur les murs, des carreaux de céramique datant de 1895 racontent la naissance mythologiq­ue de Marseille, la rencontre de Gyptis et Protis. C’était un endroit très populaire et très cinématogr­aphique à la fois, avec de grands miroirs, avec un contraste entre la somptuosit­é du lieu et son activité de fast-food. J’ai photograph­ié le soir, avec les néons, des petites choses du quotidien, mais en cadrant dans les miroirs : grâce à eux, tout le monde est sur le même plan, les héros grecs des céramiques et les gens du quartier. Ce kebab a été vendu depuis, et les céramiques recouverte­s de panneaux par le nouveau propriétai­re. Sans le savoir, j’ai fixé les traces de cette histoire.

Quelle est l’autre unité des séries présentées ?

La Méditerran­ée : Marseille, Alger, l’Afrique. Ces allers-retours constituen­t l’identité de la ville de Marseille et la débordent aussi.

Nocturnes, de Marie Bovo, jusqu’au 17 mai, Fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris. henricarti­erbresson.org

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Marie Bovo

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