Madame Figaro

ÉDITO/« Au fil du temps », par Charles Pépin.

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« Tout le malheur des hommes, écrit Pascal dans les Pensées, vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » Aujourd’hui, en effet, ne pas savoir demeurer en repos dans sa chambre peut tuer. Quand le courage et le talent des soignants sauvent des vies, nous en sauvons en restant simplement chez nous. Au lieu d’ironiser sur le peu d’héroïsme que cela nous demande, ou de l’oublier en nous laissant happer par les tâches quotidienn­es, vivons ce paradoxe en conscience et mesurons combien cette conscience peut venir changer la texture de chaque instant de notre confinemen­t : un fil nous relie même quand nous sommes séparés, aussi invisible que l’ennemi que nous combattons. Plus nous y pensons, plus ce fil se tend ; plus notre lien se resserre. Comprenons aussi que rester chez soi peut se faire avec talent, en allant chercher des ressources de créativité, en apprenant à improviser dans les limites de ce quotidien réduit. Le bouleverse­ment des habitudes conditionn­e la créativité. Nous y sommes : au coeur de nos demeures, au seuil d’une inventivit­é existentie­lle renouvelée. Il y a tant à réapprendr­e. C’est l’heure de faire la cuisine autrement. Ensemble, en tentant des trucs nouveaux, avec notre ado qui n’a encore jamais mis la main à la pâte. C’est amusant, se dira-t-on peut-être, on aurait pu essayer avant… C’est l’heure de faire les devoirs autrement, de se parler, de s’écouter autrement. C’est étrange, constatera-t-on peut-être, d’être à ce point exaspéré par le temps que passe son enfant sur les réseaux sociaux sans lui avoir jamais demandé : « Au fait, qu’est-ce qui te plaît autant ? » C’est l’heure de regarder des séries autrement : en en débattant après, au lieu d’enchaîner par l’épisode suivant. C’est bizarre, se dira-t-on peut-être : c’est tellement mieux comme ça. Les grandes crises sont toujours suivies de bouleverse­ments civilisati­onnels. Notre monde ne sera plus le même après. Préparer ce changement, essayer d’être à la hauteur du talent de nos soignants, c’est tenter, chacun à sa manière, chacun à sa mesure mais sans relâche, de faire de cette vie confinée une vie plus ouverte.

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