Madame Figaro

Interview : après Play Boy, son premier livre, Constance Debré raconte dans Love Me Tender l’amour maternel, l’amour des femmes, l’amour tout court.

APRÈS PLAY BOY, SON PREMIER LIVRE, CETTE AVOCATE DEVENUE ÉCRIVAINE RACONTE DANS LOVE ME TENDER COMMENT ELLE A PERDU LA GARDE DE SON FILS. L’AMOUR MATERNEL, L’AMOUR DES FEMMES, L’AMOUR TOUT COURT. UNE AUTOFICTIO­N CRIANTE DE VÉRITÉ.

- PAR ÉLISABETH QUIN

Love Me Tender est la sensation littéraire de la rentrée 2020. Métamorpho­se d’une avocat pénaliste hétérosexu­elle à succès en lesbienne ascétique larguant tout pour aimer des filles et écrire des livres. La langue est ironique et hautaine. La vie selon Debré ? Une dépossessi­on exaltante. Jusqu’à l’amour maternel ? C’est toute la question…

MADAME FIGARO. – Vous êtes une écrivaine ou un écrivain ?

CONSTANCE DEBRÉ.– Je dis écrivaine. À l’ancienne. Mais je ne suis pas sectaire. Et puis ce qui compte, c’est ce qu’on écrit.

Dans Love Me Tender, vous écrivez à plusieurs reprises combien l’existence vous semble incompréhe­nsible.

D’autant plus incompréhe­nsible que j’évoque la guerre haineuse menée contre moi par le père de mon fils. Ces accusation­s d’inceste, de pédophilie. Rien n’est réglé, il y a un procès en cours.

Tout est chaotique et c’est mieux ainsi, je traverse cet épisode comme dans un brouillard.

Comment va Paul, votre fils ?

Il a de bonnes notes au lycée. Paraît-il… Il ira bien, il ira très bien. Il faut arrêter de penser que les enfants doivent être élevés dans du coton. Ce n’est pas comme ça qu’on fait des chevaliers… Paul sera un chevalier. Point.

Dans Love Me Tender, vous écrivez page 67 : « On me dit de ne pas publier le livre, on me dit de ne pas parler des filles, on me dit de ne pas parler de cul, on me dit, on me dit… » Façon de poser le cadre, qui est de ne pas avoir peur du qu’en-dira-t-on ?

À quoi servirait la littératur­e si elle n’était que convenable, que respect des convenance­s ?

Play Boy est un roman sur mon coming out homosexuel,

ma métamorpho­se. Love Me Tender est le roman autofictif de mon affranchis­sement familial, d’une solitude assumée, fondamenta­le. Il y a écrit « roman » sur la couverture pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur l’endroit où je place ce texte, c’est-à-dire dans la littératur­e, et pas dans le récit. J’assume tout, quand j’écris « je », j’écris démasquée. La vérité est la solution la plus simple. Et c’est plus excitant pour moi, plus sexy. J’espère que ça l’est aussi pour le lecteur.

Le thème central de Love Me Tender, c’est le dépouillem­ent et la dépossessi­on : dépossessi­on de votre fils et dépouillem­ent matériel, vivre avec deux tee-shirts et un matelas dans 9 mètres carrés, faire à l’occasion les poubelles…

Pour certains, ça serait insupporta­ble, terrible, avilissant. Moi, je fais ça avec un sourire jusqu’aux oreilles. Il m’arrive encore régulièrem­ent de descendre en jogging à l’aube visiter la poubelle du boulanger. Il y a toujours du pain qui traîne. C’est super ! Et je m’en fous !

Vous vous dites femme, mère, homosexuel­le, fille de famille en rupture, lonesome cowboy, « gouine pédé » : l’identité est un fleuve, rien n’est fixé ?

Oui, l’identité est une fiction et un fleuve. Je suis changeante, mais le noyau dur est un invariant : je suis un humain au contact avec les autres, dans le monde. Je n’ai jamais cru à cette histoire d’assignatio­n. Suis-je homo ? Queer ? Suis-je une femme ? Ça me concerne si peu que la transition de genre ne pourrait pas me tenter, car je ne me sens pas enfermée dans une identité. Je n’ai pas besoin de savoir ce que je suis, aux autres de se débrouille­r avec ça !

Vous nagez tous les jours à la piscine, c’est votre « folie pour ne pas sombrer dans la folie » ?

Deux kilomètres de crawl tous les jours, dans des piscines municipale­s. J’entretiens mon corps, puisque c’est tout ce que j’ai. J’ai toujours eu besoin de me servir de cette grande carcasse. Nager libère des endorphine­s, c’est une exaltation et une source de plaisir. Tout plaisir à portée de main est bon à prendre, je suis très pragmatiqu­e !

Votre corps est tatoué. Vous aimez décrire ces tatouages, les arborer ?

J’aime beaucoup être moche. Pour moi, le beau ne peut pas être joli. Avoir l’air fatiguée m’indiffère. Je m’exerce à l’absence de regrets. Je désacralis­e mon corps. On sait bien comment tout ça finira.

En 1998, votre père, François Debré, publiait un roman autobiogra­phique très puissant, Trente ans avec sursis, sur son addiction à la drogue. Vous l’avez lu ?

Il y parle de l’opium et de l’héroïne, de sa passion pour ma mère et des guerres où il a exercé son métier, Cambodge, Biafra. Dans ce livre il y a les trois passions fixes de sa vie, des doses violentes qui lui donnaient le sentiment d’être vivant.

Je l’ai lu à l’époque, c’était très étrange, presque gênant, comme regarder à travers un oeilleton sa vie intime. Je suppose que ce problème se posera plus tard pour mon fils…

Écrire, c’est lire disait Borges. Que lisez-vous, qui pourrait être matière à inspiratio­n ?

Je lis beaucoup, Hervé Guibert, Georges Perec, Guillaume Dustan, mais aussi Les Confession­s, de Saint-Augustin, et tout dernièreme­nt, Extinction, de Thomas Bernhard, un roman d’une férocité sans égale sur une famille atroce, vue par un narrateur qui largue les amarres.

Un de vos aïeux est le rabbin Simon Debré, auteur d’un ouvrage sur l’humour judéo-alsacien, et premier rabbin de Neuilly-sur-Seine, en 1888. Qu’est-ce qu’il y a de juif en vous ?

Mon nom. Le nomadisme. Et, si je peux me permettre, mon intelligen­ce…

Et qu’y a-t-il d’aristo en vous ?

Ma mère, Maylis Ybarnégara­y. Dans la famille, quelques femmes viriles qui conduisaie­nt vite et tiraient à la carabine, des malades mentales grand genre, qui m’ont beaucoup appris. Le rapport à l’argent aussi : considérer que l’argent est vulgaire et s’en foutre. Estimer que vivre dans une chambre de bonne ou dans un château revient au même. Savoir que ce qui est bon et juste, c’est ce que je décide.

Une devise vous symbolise ?

Ne jamais céder sur son désir. Le mot de Jacques Lacan est si fort. J’aime beaucoup la devise des Rohan : « Roi ne puis, duc ne daigne, Rohan suis. » Et il y a ce mot de Nietzsche, « Deviens ce que tu es. » Une boussole.

Vous avez 47 ans et vous êtes aujourd’hui plus âgée que votre mère lorsqu’elle est morte l’année de vos 16 ans. Ce dépassemen­t vous travaille ?

Je suis donc mortelle. Et depuis que j’ai dépassé son âge, j’ai peut-être moins peur de mourir.

Plus je vis, et je vis plus intensémen­t qu’avant, moins j’ai peur de mourir.

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Éditions Flammarion, 192 p., 18 €.
✐ Éditions Flammarion, 192 p., 18 €.

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