Madame Figaro

Nathalie Azoulai.

UN RÉGIME AUTORITAIR­E OÙ L’UNION ENTRE DES HOMMES ET DES FEMMES DE VINGT ANS PLUS JEUNES SERAIT PROHIBÉE… C’EST LE THÈME RÉJOUISSAN­T DE JUVENIA, LE CONTE PÉTRI D’HUMOUR ET DE LIBERTINAG­E QUE NOUS OFFRE LA ROMANCIÈRE.

- PAR LISA VIGNOLI

Nathalie Azoulai est écrivain et agrégée de lettres modernes. Elle a reçu le prix Médicis pour Titus n’aimait pas Bérénice (1) en 2015. En octobre, elle publiait Clic-Clac (2), roman de la vie sentimenta­le tourmentée d’une cinéaste hantée par le célèbre film de Sydney Pollack, Nos plus belles années. Avec

Juvenia, paru le 18 mars, Nathalie Azoulai s’essaie au récit caustique, proche du conte mais terribleme­nt réaliste. MADAME FIGARO. – Juvenia s’ouvre sur l’instaurati­on – dans le pays du même nom – d’une loi interdisan­t aux hommes de vivre avec des femmes de vingt ans de moins qu’eux.

Cela ressemble à une idée folle que vous avez prise au sérieux…

NATHALIE AZOULAI. – Oui, c’est tout à fait ça. C’était l’été, je revenais de la montagne, où j’avais fait énormément de randonnée – je suppose que cela avait créé chez moi une forme d’hyperoxygé­nation –, et je me suis réveillée un matin comme si j’avais été traversée par quelque chose. J’ai eu cette idée de loi, de gouverneme­nt coercitif, et je me suis mise à écrire sans m’arrêter, comme dans une fièvre, ce qui ne m’était jamais arrivé. Cela faisait longtemps que je me posais des questions sur ce type de relations... Pourquoi ces questions vous préoccupai­ent-elles ?

De manière conjonctur­elle, autour de moi plusieurs femmes ont été quittées pour des plus jeunes. J’ai observé que le désir de nos congénères – nous autres femmes quinquagén­aires – ne se posait plus sur nous. De manière structurel­le, ce type de relations est assez fréquent dans mon environnem­ent. J’évolue dans un monde, disons culturel, assez propice à ce genre d’attelage.

Pourquoi le serait-il plus que les autres ? C’est un monde qui a l’air plus réformé que les autres, mais qui en fait fonctionne sur les mêmes archaïsmes. Il s’y joue des relations de pouvoir, d’aînesse. C’est un milieu où réside beaucoup d’admiration aussi. Les gens qui connaissen­t le succès ont du talent, l’ont prouvé et sont souvent des figures publiques. Quand on se retrouve dans des sphères où il y a de la lumière et de la notoriété, ça n’arrange pas l’asymétrie des couples. Mais ce n’est pas très nouveau… Ce qui s’accélère, en revanche, ce sont les paternités tardives.

Pour l’écriture, vous êtes-vous penchée sur des chiffres qui confirment cette tendance de la société ?

En amont, non. Après, j’ai beaucoup lu, notamment les travaux de la chercheuse Marie Bergström, sociologue du couple et de la sexualité. On constate que le décalage de l’âge a toujours fonctionné chez les femmes. Mêmes jeunes, elles ont toujours admis, voire accueilli avec bonheur, un écart d’âge et une forme de maturité plus grande chez l’homme. En revanche, ce n’est, qu’une fois autour de la cinquantai­ne que les hommes ont besoin d’installer plus d’écart avec leur compagne.

Il y a donc une acceptatio­n de cette domination chez les jeunes femmes qui se lancent dans ces couples. L’un de vos personnage­s – Juvena Biel – en est l’exemple…

Oui, elle est comédienne, et son compagnon – producteur – a une notoriété profession­nelle qui lui donne du pouvoir, notamment celui de l’aider. Elle brade quelque chose d’elle (sa jeunesse), mais cela lui apporte autre chose (l’évolution de sa carrière). Les deux sont gagnants. Plus qu’un rapport de domination, c’est un marché !

L’union de femmes à des hommes plus jeunes serait la solution ?

Ça n’en a pas l’air. Je crois que les femmes ont, en grande majorité, envie d’être avec des hommes de leur âge. Il peut y avoir des désagrémen­ts à ce décalage. Ne pas être en phase avec les perception­s de sa compagne ne doit pas être évident pour certains hommes non plus. Si c’était moi, parler sans arrêt avec l’autre qui se trouve à une étape de sa vie qui n’est pas la même que la mienne me fatiguerai­t. On peut constater cela en échangeant avec ses enfants : on voit bien le fossé qui est dû à l’expérience. La plupart du temps, dans notre rôle de parent, on doit faire avec, mais il est parfois frustrant de les pousser à faire des bonds en avant quand ils n’en sont pas (encore) capables. Si ce genre de rapports arrive dans le couple, ce doit être terrible…

Dans votre livre, un personnage masculin fait savoir à la célibatair­e placée à côté de lui que, passé 50 ans, il est inutile de s’attendre à ce qu’il s’intéresse à elle. Ce genre de goujat existe-t-il dans la vraie vie ?

Ils n’ont pas besoin de le dire, mais vous le sentez parfois. Même quand vous n’avez pas vécu cette expérience radicale (être quittée pour une plus jeune), mais que vous êtes entourée d’hommes en couple avec l’une d’elles, vous faites partie de la catégorie « sortie de la séduction ». De manière indirecte, ils vous invalident par leur pratique, vous faites partie de leurs camarades. C’est une expérience que j’ai souvent vécue. Vous ne saisissez pas tout de suite ce qui arrive, mais assez vite vous avez compris ! (Rires.)

Pensez-vous que la généralisa­tion de ces couples asymétriqu­es peut faire mal à la société ?

Dans Juvenia, je pars du postulat que cela fait du mal, ce que le régime de Juvenia vient alors corriger, remettre en ordre. Je ne sais pas si, dans la réalité cela conduit à une société dévitalisé­e, anémiée ou moins bonne… Cela fait du mal au coeur des individus, c’est certain. Et certaineme­nt à l’entente entre les hommes et les femmes. Si toute une catégorie de femmes est au rebut au-delà d’un certain âge, ces femmes ne vont plus être au contact d’hommes, et là va se créer un fossé entre les deux sexes. Comme dans la guerre féministe actuelle, d’ailleurs, qui certes répare des choses, mais provoque d’autres maux !

Juvenia est un régime féministe, avez-vous écrit un livre féministe ?

C’est un livre qui vient au secours des femmes. Pour moi, le féminisme doit aussi dénoncer des femmes qui s’en remettent au pouvoir des hommes – ce que je montre. Il n’est pas non plus victimisan­t : toutes ces femmes se réorganise­nt et sont sauvées par une forme de combativit­é et d’autonomie. Elles essaient de sauver leur peau et se mobilisent pour retrouver leur autonomie.

Vos romans sont d’ordinaire « touffus » psychologi­quement. Par la satire et la caricature – plus légères –, vous évitez tout jugement. Était-ce l’objectif ?

Pendant que j’écrivais, certaines de mes amis me disaient : « Il faut taper. » Ce n’est pas mon truc, je ne suis pas pour la guerre des sexes, mais pour l’entente. Il est vrai que le mode enlevé, le tempo rapide et la forme m’ont permis d’injecter de l’humour. Ce n’est pas un livre qui juge ni qui attaque, mais qui constate, et ça suffit. Néanmoins, je les ai un peu vengées quand même ! (Sourire.) (1) et (2) Aux Éditions P.O.L.

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 ??  ?? ✐ Juvenia , de Nathalie Azoulai, 120 pages, Éditions Stock, 16,50 €.
✐ Juvenia , de Nathalie Azoulai, 120 pages, Éditions Stock, 16,50 €.

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