Madame Figaro

Le sens de la MARCHE

DANS SON NOUVEL OUVRAGE, L’ANTHROPOLO­GUE DAVID LE BRETON, NOUS INVITE À NOUS METTRE EN ROUTE. PROFITONS DE L’ÉTÉ POUR PÉRÉGRINER.

- « Marcher la vie », Éditions Métailié. Également chez le même éditeur, « Marcher, éloge des chemins et de la lenteur » et « Éloge de la Marche ». PAR VANESSA ZOCCHETTI

MADAME FIGARO. – Le confinemen­t a-t-il – paradoxale­ment – mis en lumière les bienfaits de la marche ?

DAVID LE BRETON. – La marche est tellement évidente que l’on ne s’interroge jamais sur elle. C’est un cadeau : elle est l’élémentair­e de la condition humaine, née de la verticalis­ation de nos lointains ancêtres. Or le fait d’être privés de notre liberté de mouvement a pu faire ressurgir chez certains les sensations de marches passées, anciennes, et leur a rappelé le prix d’une chose sans prix, en somme sa vraie valeur. Outre cette nostalgie, beaucoup ont, durant le confinemen­t, rêvé de leur prochaine marche. Aujourd’hui ou demain, ils jouiront de chaque instant en se sentant vivant, et les souvenirs de cette marche, pourront à nouveau soulager des moments de désarroi. Marcher permet-il de retrouver son propre rythme ? C’est le choix de la lenteur, de la flânerie réprouvée par nos sociétés depuis, notamment, le taylorisme. Se déplacer à 4 km/h, c’est avancer sans prendre en compte l’utilitaris­me. C’est humer l’odeur de la mousse, admirer un cortège de fourmis, guetter un renard, toucher un arbre, écouter le chant d’un oiseau, goûter une baie… Cet éveil de tous nos sens nous est donné. Il n’apporte rien de quantifiab­le dans nos vies, mais crée un mouvement d’émerveille­ment, d’éblouissem­ent, qui ne se mesure pas. De plus, les marcheurs sont souvent déconnecté­s, les forêts ne permettant pas de

« capter ». C’est un avantage, car on marche aussi pour se perdre et demander son chemin, pour créer une connivence avec ceux que l’on rencontre.

Marcher à son rythme, c’est ainsi prendre son temps et laisser le temps nous prendre. C’est un petit miracle dans notre monde où tout doit être rentable. Durant les vacances, c’est l’aventure à portée de main ? Oui ! Car la marche nous rappelle que nous sommes encore l’enfant qui se lève le matin et va gambader dans le jardin, un périmètre limité, mais qui peut être plein de surprises si on se laisse guider par son imaginaire. La marche réveille cette capacité à rêver comme quand on était petit. Marcher, c’est donc retrouver la jubilation d’une aventure qui ne coûte rien, à portée de main. On voit une colline au loin et l’on se demande ce qui se cache derrière. Un château oublié ? Un paysage sublime ? Où nous mènera le chemin que nous empruntons : vers un lieu inattendu ? Même si en tant qu’adulte, on ne verbalise pas toujours ces fantasmes, on les a en tête. Je me souviens d’une marche avec le sociologue Philippe Breton sur un sentier vosgien. Nous avons cru apercevoir un renardeau et nous sommes restés une demi-heure à attendre qu’il ressorte. Ce n’était évidemment pas au programme. Cette longue observatio­n non planifiée serait invraisemb­lable dans un autre contexte. Mais là, elle s’est imposée. La marche est un réapprenti­ssage du temps, de l’émerveille­ment. Cette immersion du corps dans son environnem­ent permet de renouer avec la curiosité pour le monde qui nous entoure : c’est un renouvelle­ment en profondeur de notre rapport à la nature, à l’autre, à nous-même.

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