ORien qu' avec LES YEUX
On dirait un titre de James Bond. Rien qu’avec les yeux : il va falloir s’exercer. Ces fichus masques imposent une gymnastique nouvelle. Tout doit passer par le regard. Finies les moues dubitatives. Adieu les sourires en coin. Les pupilles vont être obligées de se muscler. L’iris tâchera de décliner l’alphabet complet des émotions. Mentir deviendra un sport de compétition. Il n’y a pas d’âge pour apprendre. Un langage inédit s’instaure. Des avocats se lamentent de plaider devant des juges aux moitiés de visage. Des amoureuses se désolent de ne plus pouvoir rougir en public. Les sourcils se haussent. Cela cligne, s’ouvre grand. Des avantages apparaissent. Il est désormais permis de bâiller sans mettre sa main devant la bouche. Quand on éternue, le tissu ou le papier se gonfle comme une montgolfière. Cela amuse les enfants. Les chiens sont sidérés de voir leur maître s’affubler d’une muselière.
Il est défendu de se gratter le nez. Dans la rue, on ne reconnaît plus ses voisins. C’est toute une histoire. Si les gens portent des lunettes de soleil, on ne vous en parle pas. Les passantes ressemblent à des héroïnes de western, à des braqueuses hollywoodiennes. Cet été, si par miracle les plages restent accessibles, les adeptes de la plongée se compteront par milliers. Les poissons n’en reviendront pas de croiser ces accessoires en caoutchouc cerclés de verre, ces tubas en forme de cheminée. Les marques de luxe s’adapteront à ces moeurs. Des logos s’afficheront sur les mentons, souligneront des pommettes étonnées répertoriant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. La mode ne perdra pas une minute. Il ne s’agirait pas cependant que le virus s’éternise. Sinon, quand l’épidémie ne sera plus qu’un mauvais souvenir, personne ne réussira à cacher ses sentiments véritables. Ça sera une catastrophe.