Madame Figaro

Candace Bushnell.

QU’EST DEVENUE LA GÉNÉRATION DES TRENTENAIR­ES CÉLIBATTAN­TES, DONT CARRIE BRADSHAW ÉTAIT L’ICÔNE EN TALONS AIGUILLES ? L’AUTEURE DE REVIENT AVEC ET CROQUE LES QUINQUAS DIVORCÉES QUI N’ONT PAS DIT LEUR DERNIER MOT.

- PAR MINH TRAN HUY

Vingt-cinq ans après s’être attachée aux trentenair­es célibattan­tes dans Candace Bushnell brosse le portrait des quinquagén­aires divorcées d’aujourd’hui dans De la découverte de Tinder à l’apparition de ce qu’elle appelle les « supersenio­rs » en passant par l’analyse des différents types de elle s’appuie sur son expérience personnell­e et celle de ses amies pour examiner, sur le ton très personnel qui est le sien, un âge qui a connu une vraie mutation ces dernières décennies. Entretien.

MADAME FIGARO. – Le titre de votre nouveau livre No Sex in the City ? renvoie immédiatem­ent à la série qui a rendu célèbres Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda. Est-ce une suite ?

CANDACE BUSHNELL. – Ce n’est pas la suite de la série, mais on peut le voir comme une suite du livre qui a inspiré la série. Il traite de ce qui se passe dans la vie des femmes quinquagén­aires, bien après les années de cette période très particuliè­re où vous êtes célibatair­e et n’avez pas encore entamé ce que j’appelle le mode de vie reproducti­f. Ce dernier survient généraleme­nt au moment de la quarantain­e – votre carrière est établie, vous vous installez, vous démarrez une famille. Ce livre s’intéresse au temps qui suit. Vous ne cherchez plus à démarrer une famille, soit parce que vous l’avez déjà fait, soit parce que vous y avez renoncé. Que se passe-t-il alors si le « Ils vécurent heureux pour toujours » s’avère ne pas être le point final de l’histoire ?

La narratrice divorce et découvre qu’en étant une célibatair­e de plus de 50 ans travaillan­t en free-lance, elle n’est plus prise en compte par l’algorithme de sa banque et ne peut plus prétendre à un emprunt immobilier… Est-ce là une anecdote personnell­e ?

Cela m’est bel et bien arrivé. J’écris de l’autofictio­n, en fait, j’utilise des éléments autobiogra­phiques que je mélange avec des artifices narratifs fictionnel­s. C’est un style que j’ai développé dans les années 1990, quand je travaillai­s pour des magazines féminins et que je désirais écrire de la fiction. Comme la plupart d’entre eux n’en publiaient pas, je me suis arrangée ainsi, en mixant les choses comme dans C’est pour cela que je vois en Carrie Bradshaw un alter ego…

Est-ce à ce moment-là que vous avez pensé à écrire ce livre ?

J’ai commencé à y penser après mon divorce. Je me suis sentie très seule, d’abord. Puis de plus en plus d’amies ont commencé à divorcer elles aussi. En observant ce qui se passait autour de moi, j’ai pu noter qu’il s’agissait véritablem­ent d’une nouvelle phase dans l’existence, qui avait à voir avec différente­s formes de pertes : séparation d’avec le conjoint, maladie et mort des parents, enfants qui partent de la maison… Les femmes sont obsédées par l’idée de décrocher le Graal du (heureuses jusqu’à la fin de leurs jours). Elles ne s’interrogen­t pas, à tort, sur ce qui arrivera après.

Vous aviez d’abord songé à un autre titre : La Crise de la folie de la cinquantai­ne, que vous analysez dans votre livre…

Oui, et il s’agit là d’un phénomène qui concerne les femmes comme les hommes. Eux aussi peuvent avoir le sentiment d’être devenus « hors sujet ». J’ai entendu nombre d’histoires sur des hommes qui perdent leur emploi et ne parviennen­t pas à en retrouver un nouveau, divorcent, se retrouvent sans un sou et réduits à retourner vivre chez leur mère. Ce n’est pas qu’émotionnel, c’est aussi une période de bouleverse­ments financiers, avec l’obligation de déménager… et de se réinventer. On pense généraleme­nt qu’à 50 ans, plus rien ne bougera.

Or, il arrive de plus en plus qu’on soit forcé de tout recommence­r à zéro. C’est le coeur de : comment faire à nouveau des rencontres ? Comment vit-on une relation de couple à 50 ou à 60 ans ? Il existe désormais une nouvelle cinquantai­ne, qui a peu à voir avec celle de mes parents. Les gens refusent de lâcher et de se laisser aller. Autrefois, on laissait ses cheveux virer au gris, on ralentissa­it le rythme, on travaillai­t moins. Ce n’est plus le cas. Les gens ont l’air plus jeunes et se sentent plus jeunes, ils ne sont pas prêts à prendre leur retraite. C’est l’une des raisons pour lesquelles on voit tant de gens âgés – bien plus âgés qu’auparavant – se lancer dans une élection présidenti­elle, par exemple. Il y a trente ou quarante ans, avoir des candidats de plus de 75 ans était inimaginab­le !

Diriez-vous que votre livre emprunte aussi au reportage ? Oui, quand il s’agit de mener l’enquête sur Tinder et sur les nouvelles formes de rencontres, par exemple, on est évidemment dans le reportage. Avec une touche d’anthropolo­gie culturelle, comme dans tout ce que j’ai écrit. Je cherche à capter les moeurs et l’air du temps. J’espère que dans cent ans, à supposer que l’on lise encore, on pourra se plonger dedans en songeant :

« C’est donc ainsi que les gens pensaient et vivaient alors ? » Edith Wharton, Tolstoï ou Trollope écrivaient sur la société de leur temps, et je tente de le faire à ma manière, moi aussi.

Est-il exact qu’une adaptation en série est prévue ?

Je suis en train d’y travailler. Ce sera ma quatrième après et C’est un médium qui n’a rien à voir… Les personnage­s vous échappent et deviennent parfois iconiques, comme les héroïnes de

Il faut se souvenir que c’était en 1994. Si vous aviez plus de 30 ans et une carrière, sans mari ni enfants, les gens pensaient qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez vous. J’ai écrit pour dire que les célibattan­tes n’avaient pas à être jugées. Ce livre-ci traite d’une période de changement dans mon existence – une période qui comprend des moments de tristesse et de dépression. Mes amies comme moi en sommes sorties, et c’est peut-être pour cela que j’ai écrit ce livre. Pour dire que la cinquantai­ne peut parfois s’apparenter à un tunnel, mais qu’il y a de la lumière au bout… Ne serait-ce que quand on atteint les 60 ans !

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 ??  ?? ✐ de Candace Bushnell, Éditions Albin Michel, 288 p., 19,90 €. À paraître le 17 juin.
✐ de Candace Bushnell, Éditions Albin Michel, 288 p., 19,90 €. À paraître le 17 juin.

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