mantras à tout-va.
AVEZ-VOUS REMARQUÉ COMME on ne peut plus jeter un oeil ou faire un pas dehors sans se voir administrer une petite leçon de vie ? Les tee-shirts clament unanimement que l’on devrait toutes être féministes, libres, ou tout ça à la fois… Les comptes Instagram pullulent de (« citations du jour » en anglais, un genre à part entière) aux formules inspirantes :
(« La paix intérieure est le nouveau succès »), (« Allez là où vous vous sentez le plus vivant ») et autres maximes bien « senties » engagent en permanence à l’épanouissement d’un moi bienveillant, forcément bienveillant. Quant aux bracelets un peu sympas, sans au minimum
un Happy-Free-Lucky-Love-Peace gravé dans le métal ou traité façon boulier coloré, ils n’ont aucune chance de figurer un jour au bras de la fille cool de base. Le confinement et ses #TakeCare, #StayAtHome et #ProtègeTon Soignant ultraciviques n’ont bien entendu pas dérogé à la règle de l’exhortation rituelle, même si cette dernière se teintait d’un peu plus de raison… Bienvenue dans l’ère de ce que la philosophe Marie Robert, auteure du bestseller (Flammarion-Versilio) et du podcast appelle le « prêt-à-mantra » ! Cette forme contemporaine très, très allégée du prêtà-penser (qui n’était déjà pas un compliment !) est devenue pour elle un fascinant et préoccupant tic d’époque. « Je suis convaincue que le prêt-à-mantra fait recette, parce qu’il n’y a rien d’autre à la place, analyse-t-elle. Aucune proposition de contenu. Il est peut-être temps de se dire que, plutôt qu’ingérer un “prêt-à-penser”, nous allons simplement penser. Le besoin qui se joue ici est crucial : où sommes-nous ? Où allons-nous ? D’où venons-nous ? Cela fait des millénaires que l’humain affronte ces questions en passant par la force de son esprit. Mais ce n’est plus le cas : aujourd’hui, on se gave de trucs très simples, à défaut de mettre les mains dans le cambouis. » et « Laissons faire la parole ». Amusant, non, si l’on songe que l’addiction aux réseaux sociaux n’est pas tout à fait le formidable vecteur de lien social vanté ici… ? Les banques, bien connues pour leur philanthropie, ne sont pas en reste (« La réussite est en vous »), les vendeurs de jeans («
de rasoirs pour filles (« C’est ma peau, et j’en suis fière ») ou de tablettes (« Faites bien plus qu’un cadeau ») la jouent volontiers existentialiste ou messianique. J’achète, donc je suis ? Descartes, réveilletoi, ils sont devenus fous… Même les grandes enseignes de bricolage ou de mobilier en kit y vont de leur petit aphorisme plein d’humanisme : « Et vos projets vont plus loin », serine l’un, quand un autre – qui a sans doute trop lu Marie Kondo - se prend à philosopher sur les tiroirs : « Ranger fait de la place à la vie »…
MARIE ROBERT VOIT DERRIÈRE cette accumulation de sentences pleines de sens « un vrai signe de désarroi, parfaitement capté par les créatifs des agences. Nous sommes viscéralement angoissés. Toutes les instances qui nous structuraient se sont érodées. Le couple ne fait plus recette, le monde suffoque, le travail est source de burn-out, les idéologies sont mortes ; bref, nous sommes nus comme des vers. La seule chose qui nous reste, c’est nous-mêmes et notre pouvoir d’achat. Les marques placent donc ce reliquat de Grand Soir dans une paire de baskets. À défaut de sauver la planète, nous pourrons aller courir en imaginant que nous sommes des super-héros. » Cette omniprésence du « prêt-à-mantra » relève-t-elle, comme le du plus pur opportunisme ? Cela va également sans dire pour Marie Robert, qui a néanmoins une parade : « Nous vivons dans une société extrêmement contraignante en termes de norme, de sécurité, de précaution, de déplacement, etc. Nous passons une partie de notre journée à taper des mots de passe, à prouver notre identité, à envoyer des justificatifs. Le Covid-19 a encore chargé la barque. On crée donc d’absurdes sas de rêves, comme des sas de décompression. Mais ce droit au rêve est vain, puisqu’on n’a pas pris le temps de le questionner. Qu’est-ce que ça veut dire, rêver ? Qu’est-ce que ça veut dire, être soi ? Qu’est-ce que ça veut dire, être libre ? Les mots sont employés sans être saisis. Alors que chaque concept mériterait des heures de réflexion. Plus que ce rêve factice, si nous revendiquions notre droit à être paumés ? » Avec ou sans baskets ou smartphone dernier cri…
géographique, sociologique, politique, et selon les différents systèmes de santé, qui est la grande théorie de Pasteur, se vérifie cette fois-ci aussi. Le même virus n’agit pas de la même façon à Taïwan, New York, Berlin ou Paris. Car les réponses sociales, politiques et économiques à la même pandémie sont très diverses. On sait, depuis le XIXe siècle, que les virus ont une capacité stupéfiante de modifier les rapports sociaux. Un monde avec microbes et un monde sans microbes, ce n’est pas la même société. Le pasteurisme, à l’époque, s’est aperçu que ce qu’on appelait avant les miasmes ne sont pas partout : il faut juste savoir où les interrompre, à des endroits précis, les mains, le nez, etc. Pasteur a compris que cela dépend de gestes, qu’on appelle maintenant gestes barrières, de pratiques d’antisepsie… La mondialisation de l’épidémie n’est pas non plus nouvelle : dans l’Antiquité, la construction des voies romaines a permis à la peste de s’étendre jusqu’à l’Afrique et l’Irlande. Même si le Covid-19 s’est propagé plus