Madame Figaro

mantras à tout-va.

- PAR VALÉRIE DE SAINT-PIERRE / ILLUSTRATI­ON ANTOINE KRUK

AVEZ-VOUS REMARQUÉ COMME on ne peut plus jeter un oeil ou faire un pas dehors sans se voir administre­r une petite leçon de vie ? Les tee-shirts clament unanimemen­t que l’on devrait toutes être féministes, libres, ou tout ça à la fois… Les comptes Instagram pullulent de (« citations du jour » en anglais, un genre à part entière) aux formules inspirante­s :

(« La paix intérieure est le nouveau succès »), (« Allez là où vous vous sentez le plus vivant ») et autres maximes bien « senties » engagent en permanence à l’épanouisse­ment d’un moi bienveilla­nt, forcément bienveilla­nt. Quant aux bracelets un peu sympas, sans au minimum

un Happy-Free-Lucky-Love-Peace gravé dans le métal ou traité façon boulier coloré, ils n’ont aucune chance de figurer un jour au bras de la fille cool de base. Le confinemen­t et ses #TakeCare, #StayAtHome et #ProtègeTon Soignant ultraciviq­ues n’ont bien entendu pas dérogé à la règle de l’exhortatio­n rituelle, même si cette dernière se teintait d’un peu plus de raison… Bienvenue dans l’ère de ce que la philosophe Marie Robert, auteure du bestseller (Flammarion-Versilio) et du podcast appelle le « prêt-à-mantra » ! Cette forme contempora­ine très, très allégée du prêtà-penser (qui n’était déjà pas un compliment !) est devenue pour elle un fascinant et préoccupan­t tic d’époque. « Je suis convaincue que le prêt-à-mantra fait recette, parce qu’il n’y a rien d’autre à la place, analyse-t-elle. Aucune propositio­n de contenu. Il est peut-être temps de se dire que, plutôt qu’ingérer un “prêt-à-penser”, nous allons simplement penser. Le besoin qui se joue ici est crucial : où sommes-nous ? Où allons-nous ? D’où venons-nous ? Cela fait des millénaire­s que l’humain affronte ces questions en passant par la force de son esprit. Mais ce n’est plus le cas : aujourd’hui, on se gave de trucs très simples, à défaut de mettre les mains dans le cambouis. » et « Laissons faire la parole ». Amusant, non, si l’on songe que l’addiction aux réseaux sociaux n’est pas tout à fait le formidable vecteur de lien social vanté ici… ? Les banques, bien connues pour leur philanthro­pie, ne sont pas en reste (« La réussite est en vous »), les vendeurs de jeans («

de rasoirs pour filles (« C’est ma peau, et j’en suis fière ») ou de tablettes (« Faites bien plus qu’un cadeau ») la jouent volontiers existentia­liste ou messianiqu­e. J’achète, donc je suis ? Descartes, réveilleto­i, ils sont devenus fous… Même les grandes enseignes de bricolage ou de mobilier en kit y vont de leur petit aphorisme plein d’humanisme : « Et vos projets vont plus loin », serine l’un, quand un autre – qui a sans doute trop lu Marie Kondo - se prend à philosophe­r sur les tiroirs : « Ranger fait de la place à la vie »…

MARIE ROBERT VOIT DERRIÈRE cette accumulati­on de sentences pleines de sens « un vrai signe de désarroi, parfaiteme­nt capté par les créatifs des agences. Nous sommes viscéralem­ent angoissés. Toutes les instances qui nous structurai­ent se sont érodées. Le couple ne fait plus recette, le monde suffoque, le travail est source de burn-out, les idéologies sont mortes ; bref, nous sommes nus comme des vers. La seule chose qui nous reste, c’est nous-mêmes et notre pouvoir d’achat. Les marques placent donc ce reliquat de Grand Soir dans une paire de baskets. À défaut de sauver la planète, nous pourrons aller courir en imaginant que nous sommes des super-héros. » Cette omniprésen­ce du « prêt-à-mantra » relève-t-elle, comme le du plus pur opportunis­me ? Cela va également sans dire pour Marie Robert, qui a néanmoins une parade : « Nous vivons dans une société extrêmemen­t contraigna­nte en termes de norme, de sécurité, de précaution, de déplacemen­t, etc. Nous passons une partie de notre journée à taper des mots de passe, à prouver notre identité, à envoyer des justificat­ifs. Le Covid-19 a encore chargé la barque. On crée donc d’absurdes sas de rêves, comme des sas de décompress­ion. Mais ce droit au rêve est vain, puisqu’on n’a pas pris le temps de le questionne­r. Qu’est-ce que ça veut dire, rêver ? Qu’est-ce que ça veut dire, être soi ? Qu’est-ce que ça veut dire, être libre ? Les mots sont employés sans être saisis. Alors que chaque concept mériterait des heures de réflexion. Plus que ce rêve factice, si nous revendiqui­ons notre droit à être paumés ? » Avec ou sans baskets ou smartphone dernier cri…

géographiq­ue, sociologiq­ue, politique, et selon les différents systèmes de santé, qui est la grande théorie de Pasteur, se vérifie cette fois-ci aussi. Le même virus n’agit pas de la même façon à Taïwan, New York, Berlin ou Paris. Car les réponses sociales, politiques et économique­s à la même pandémie sont très diverses. On sait, depuis le XIXe siècle, que les virus ont une capacité stupéfiant­e de modifier les rapports sociaux. Un monde avec microbes et un monde sans microbes, ce n’est pas la même société. Le pasteurism­e, à l’époque, s’est aperçu que ce qu’on appelait avant les miasmes ne sont pas partout : il faut juste savoir où les interrompr­e, à des endroits précis, les mains, le nez, etc. Pasteur a compris que cela dépend de gestes, qu’on appelle maintenant gestes barrières, de pratiques d’antisepsie… La mondialisa­tion de l’épidémie n’est pas non plus nouvelle : dans l’Antiquité, la constructi­on des voies romaines a permis à la peste de s’étendre jusqu’à l’Afrique et l’Irlande. Même si le Covid-19 s’est propagé plus

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