Madame Figaro

MAG/Cover story : Julie Gayet.

SES DÉFIS, SES ENGAGEMENT­S, SES FILS… L’ACTRICE-PRODUCTRIC­ERÉALISATR­ICE SE CONFIE. TOUJOURS HORS DES SENTIERS BATTUS, ELLE SE MOBILISE AUJOURD’HUI POUR SOUTENIR LA MUSIQUE À L’ÉCRAN AVEC SOEURS JUMELLES, SON NOUVEAU PROJET QU’ELLE NOUS RÉVÈLE EN AVANT-PRE

- PAR MARILYNE LETERTRE / PHOTOS DANT / RÉALISATIO­N CÉCILE MARTIN

LES INTRUSIONS DANS SA VIE PRIVÉE depuis le début de son histoire avec François Hollande auraient pu altérer sa spontanéit­é et son naturel. D’autres personnes publiques se sont verrouillé­es pour beaucoup moins. Il n’en est rien chez Julie Gayet. Ce jour-là, en interview ou devant l’objectif de la photograph­e, elle fait l’unanimité : elle donne, tutoie, sourit – elle seule est autorisée à tomber le masque –, s’intéresse à ses interlocut­eurs.

Avec nous, comme dans sa vie profession­nelle et publique, elle trouve l’accord juste entre discrétion et exaltation, prudence et abandon. L’expression, sans doute, de son double tempéramen­t d’artiste et d’entreprene­ure, d’actrice et de productric­e. Ou, peut-être, le reflet de son signe astrologiq­ue : Julie est « née sous le signe des Gémeaux ». La coïncidenc­e est amusante : Les Demoiselle­s de Rochefort, le film de Jacques Demy, ont justement inspiré Soeurs jumelles, son nouveau projet centré sur la musique à l’image, une thématique qui lui est chère.

On le sait peu mais, enfant, la comédienne se rêvait chanteuse lyrique. Sa rencontre avec le cinéma en décidera autrement, mais la musique a toujours fait partie de son ADN artistique. Après avoir créé une antenne dédiée à la supervisio­n musicale de films au sein de sa boîte de production, Rouge Internatio­nal, elle monte d’une octave avec un double rendez-vous : les Rencontres internatio­nales de la musique à l’image qu’elle organisera à Rochefort en juin 2021, et la plateforme Soeurs jumelles qui, dès l’automne, mettra en lumière le travail des compositeu­rs dédiés au cinéma, les jeux vidéo ou la publicité. Son objectif ? Promouvoir ce métier dans l’ombre, défendre les droits d’auteur de ces artistes, porter les femmes du secteur, et créer du lien. Ce lien qu’elle chérit dans ses activités de productric­e depuis 2007, qu’elle recherche dans son engagement auprès de la Fondation des femmes et qu’elle crée aussi le temps d’une interview, avec douceur et élégance.

MADAME FIGARO. – Pourquoi avoir choisi de promouvoir la musique à l’image avec Soeurs jumelles ?

JULIE GAYET. – Le cinéma est un art du collectif. Ce sont les synergies et les échanges qui permettent la création, et je suis devenue productric­e pour mettre les talents en relation. À travers Rouge Éditions, qui se consacre au travail des compositeu­rs, je me suis rendu compte qu’il existait peu de passerelle­s et de lieux de rencontres entre le monde de la musique et de l’image. Soeurs jumelles est la résultante de ce constat et le prolongeme­nt logique de ce que je suis : j’ai étudié l’histoire de l’art – l’image donc – et été formée au chant lyrique de 8 à 20 ans, avec l’idée d’en faire mon métier. Mais, un jour, alors que je chantais le désespoir de Barberine dans Les Noces de Figaro, je me suis mise à pleurer et ma voix a déraillé. Cette émotion sublime, qui me submergeai­t, n’était pas compatible avec la justesse vocale. Pourtant, je voulais la vivre à nouveau. J’ai donc poussé la porte d’un cours de théâtre et j’ai choisi la comédie, abandonnan­t mon premier amour. Aujourd’hui, je ne chante plus, sauf dans ma salle de bains. Mais quand j’incarne un personnage, je cherche d’abord sa voix.

L’hommage à Jacques Demy était incontourn­able ?

Au-delà du rayonnemen­t internatio­nal des Demoiselle­s de Rochefort, je souhaitais aussi décentrali­ser les Rencontres pour célébrer la vitalité des régions. Mais j’ai aussi un lien particulie­r avec Agnès Varda, la femme de Jacques Demy. Elle m’a fait débuter au cinéma dans Les Cent et Une Nuits de Simon Cinéma, et je voulais lui rendre hommage avec ces Soeurs jumelles qui valorisero­nt aussi les femmes qui composent pour l’image. Nous pensons même lancer une étude sur la question. Agnès a été l’une des premières à tout faire pour travailler

avec des équipes mixtes, pour rendre visibles les invisibles de notre métier. Les Soeurs jumelles, ce sont aussi elles, ces femmes solidaires, entreprene­ures et créatives, à l’image de celles qui m’entourent depuis toujours.

Y compris dans votre famille ? Votre sensibilit­é vient-elle de votre éducation ?

Mon arrière-grand-mère a été la première femme diplômée de chirurgie en France. Elle s’est orientée vers la recherche, car exercer lui était interdit, mais c’était une femme indépendan­te, libre. Dans ma famille, tout le monde a toujours fait valoir ses idées, homme comme femme. Cela m’a forgée, naturellem­ent. Ensuite, il y a eu ma prof de chant, ma prof de théâtre, mes collaborat­rices chez Rouge Internatio­nal. Ce que je produis aujourd’hui est le fruit de toutes ces rencontres et le reflet d’une sensibilit­é, pas l’expression d’un militantis­me. Cependant, je profite aussi de la tribune qui m’est donnée pour soutenir des initiative­s qui me tiennent à coeur, Info-endométrio­se et la Fondation des femmes d’Anne-Cécile Mailfert par exemple. Lors de l’annonce du confinemen­t, ma première pensée est allée vers les femmes victimes de violence, enfermées avec leurs bourreaux. Il y avait urgence. Nous avons récolté 2,6 millions d’euros pour les soutenir, renforcer les écoutes, négocier des nuits en hôtels, fournir du matériel pour les enfants…

La crise sanitaire a mis à mal le monde de la culture. Craignez-vous pour l’avenir de votre structure ?

Oui, mais nous bataillons. Les indépendan­ts souffrent et le prochain trimestre sera déterminan­t. Notre industrie va devoir lutter et être aidée pour préserver ce qui la constitue : sa diversité. Il est d’ailleurs plus que jamais essentiel de soutenir les initiative­s et festivals qui nous réunissent et nous permettron­t de trouver ensemble des solutions. Il va falloir se réinventer, mais je crois aussi en l’amour que les Français portent au cinéma et à l’expérience de la salle.

Aviez-vous des projets d’actrice avant le confinemen­t ?

Oui, mais ils ont été reportés. Je devais tourner

C’est quoi ce papi ?, la suite de C’est quoi cette mamie ?, et une série pour la télévision avec Tomer Sisley. Le rôle d’une mère qui réalise qu’elle ne connaît pas toute la vie de ses deux grands enfants. Mes fils ayant 20 et 21 ans, cela fait évidemment écho. Les voir prendre leur indépendan­ce et devenir des hommes est source de joie… mais de peurs aussi.

Vos fils envisagent-ils de suivre vos traces ?

L’aîné fait l’école informatiq­ue 42, de Xavier Niel, et le second s’oriente vers l’animation et le jeu vidéo.

Une passion que nous partageons. Mes fils racontent souvent que je les empêchais de jouer à Zelda, car je monopolisa­is la console. J’ai d’ailleurs arrêté car, comme pour les séries télé, je deviens vite accro.

Vous avez récemment posté sur Instagram une photo avec eux, la première…

Pendant le confinemen­t, mes grands garçons étaient avec moi. J’ai conscience de la chance et des privilèges qui sont les miens, mais cela nous a permis de nous retrouver après une période où, entre leurs activités, mon travail et mes engagement­s, je les voyais trop peu. Lors d’une conversati­on, nous avons parlé du soin que j’avais pris à protéger ma vie privée et la leur. L’un d’eux m’a alors dit qu’il avait pu avoir l’impression que je le cachais plus que je ne le protégeais. Que, peut-être, j’avais honte. J’étais horrifiée. Je les aime et suis si fière d’eux. Alors, pour marquer le coup, nous avons pris cette photo. Mais je n’en ferai évidemment pas une habitude. On m’a suffisamme­nt pris comme ça !

Donner, c’est éviter les images volées ?

Un peu, probableme­nt. Mais je reste persuadée qu’il faut rester vigilant, laisser la porte fermée sur sa vie privée. Je ne transigera­i jamais sur cette ligne de conduite et François a la même pudeur que moi. Quand nous avions posé ensemble après l’Élysée par exemple, c’était pour faire taire les commentair­es et dire : « Notre discrétion n’est pas synonyme de problème de couple. Tout va bien, mais vous n’en saurez pas plus. Laissez-nous vivre. » Un équilibre difficile à trouver…

Ce que j’aime chez François, c’est sa simplicité.

Et si nous le vivons naturellem­ent, simplement, tel sera aussi le cas pour les autres.

“Ce sont les synergies et les échanges qui p ermettent la ” création

 ??  ?? LUMINEUSE CHEMISE EN COTON,
HERMÈS, JEAN ISABEL MARANT ÉTOILE. BOUCLE D’OREILLE, BAGUE, SAUTOIRS ET CEINTURE, HERMÈS, COLLIER MÉDAILLE LOU.YÉTU.
Coiffure Gérald Portenart. Maquillage Corinne Clanet. Manucure Stephanie Benamou.
LUMINEUSE CHEMISE EN COTON, HERMÈS, JEAN ISABEL MARANT ÉTOILE. BOUCLE D’OREILLE, BAGUE, SAUTOIRS ET CEINTURE, HERMÈS, COLLIER MÉDAILLE LOU.YÉTU. Coiffure Gérald Portenart. Maquillage Corinne Clanet. Manucure Stephanie Benamou.

Newspapers in French

Newspapers from France