Madame Figaro

Rencontre : Benjamin Biolay.

AUTEUR-COMPOSITEU­R, CHANTEUR, ACTEUR... IL TRACE SA ROUTE EN HOMME LIBRE. SON NOUVEL ALBUM, GRAND PRIX, FILE LA MÉTAPHORE AUTOMOBILE POUR ÉVOQUER LES ACCÉLÉRATI­ONS ET ACCROCHAGE­S DE L’EXISTENCE, AVEC DES TEXTES À FLEUR DE PEAU.

- PAR PAOLA GENONE

CETTE FOIS, IL A FAIT LE GRAND SAUT : se dévoiler comme jamais à travers les chansons de son nouvel album, la plus belle histoire qu’il ait jamais chantée. Grand Prix * est plus qu’un disque… C’est un hymne d’amour aussi dansant qu’écorché. Benjamin Biolay se sert de la métaphore de la course, de la route, des virages pris à une vitesse folle par les pilotes de Formule 1 – l’une de ses passions – pour décrire un parcours dans lequel, finalement, chacun de nous peut se retrouver. Il jette son regard profond dans le rétroviseu­r et, si les images de son passé défilent, les checkpoint­s et l’avenir sont bel et bien devant lui. « Il s’est dépassé », confie Keren Ann, avec laquelle il chante en duo une magnifique ballade. Créateur insatiable en quête de partage, durant et après le confinemen­t, on l’a vu chaque soir sur Instagram, reprenant Barbara ou Serge Gainsbourg, chantant aux côtés de Chiara Mastroiann­i : près de 90 lives offerts à un public aussi ému que lui. En l’écoutant chanter, parler, on pense toujours au génie Gainsbourg… « Lequel ?, dit-il sourire malicieux. Il y a plein de Serge Gainsbourg : il a changé tant de fois de public et puis tous les publics se sont retrouvés. » Il existe aussi de nombreux Benjamin Biolay. L’auteurcomp­ositeur, le chanteur, le comédien, le dandy désabusé, le musicien authentiqu­e qu’on rencontre dans Grand Prix.

FORMULE 1

« J’ai écrit la première chanson de cet album après l’accident fatal du pilote de Formule 1 Jules Bianchi, le 17 juillet 2015. Sa mort m’a beaucoup marqué : il était jeune (25 ans) et il avait un avenir fou devant lui. Je suis fasciné par ces gens qui décident de vivre des vies extrêmes, intenses, au risque qu’elles soient très courtes. Il y a quelque chose d’insensé dans le choix de faire des tours en rond et de pouvoir en mourir… Quelque chose de très romantique également, que j’ai voulu restituer dans cet album où toutes les chansons sont aussi illustrées par des affiches cinématogr­aphiques, que j’ai demandées à des graphistes géniaux. »

COULEUR ROCK

« C’est un album assez rock, avec une sensibilit­é féminine. Mais je n’aime pas le cliché du rock viril… La virilité, c’est quelque chose que je trouve vulgaire quand elle est démonstrat­ive. J’avais envie plutôt de textes à fleur de peau. J’ai rarement autant souffert pour faire un disque, mais maintenant que c’est fini, je suis content. C’est ce que disent souvent les pilotes de Formule 1 lors d’un Grand Prix : c’est un cauchemar, on a peur et puis, quand on gagne, c’est merveilleu­x. Eh bien là, ça a été un peu le Grand Prix, et même si ça n’est pas couronné d’un succès, je considère avoir gagné parce que je me suis vraiment saigné pour ce disque. » « J’étais dans un tourbus en regardant l’autoroute qui filait dans la nuit, et j’avais l’impression d’être un peu Bob Dylan, avec mon whisky et ma guitare, quand j’ai composé Ma Route. J’y passe mon temps et j’ai fait plusieurs albums en voyageant, en Argentine, en Italie… Mais là, je sentais que le voyage dont j’avais besoin était surtout intérieur. Il y a de ces moments où l’on se sent suffisamme­nt inspiré par les choses de la vie pour ne pas avoir besoin d’aller se promener. Le voyage se fait dans la conscience et on se rappelle, finalement, de tous les grands voyages de notre vie. »

VIE PRIVÉE

« Oui, il y a toutes les déclinaiso­ns d’une histoire d’amour dans ce disque. Mon métier, comme celui des pilotes, a un côté sacrificie­l. Eux peuvent sacrifier leur vie et nous, les chanteurs, on sacrifie très souvent notre vie privée. Nos relations amoureuses sont compliquée­s, elles sont faites fatalement de beaucoup d’échecs. C’est difficile de suivre quelqu’un qui est à la fois ultra-émotif et ultra-absent, dans un chaos perpétuel. À chaque fois que j’en parle avec des collègues, on a souvent ce même bilan. »

ARGENTIN

« Je pensais qu’en vieillissa­nt, je trouverais des certitudes, mais en fait, toutes mes conviction­s s’écroulent et le confinemen­t me l’a prouvé parce que jamais je n’aurais imaginé ça. J’ai aussi une vie privée, une vie réelle en Argentine… J’y vais tous les trois mois au moins et je vois que la situation économique, sociale se dégrade de manière extraordin­aire, que les certitudes s’effondrent. Dans la chanson La roue tourne, je m’adresse aux enfants et je leur dis qu’en fait on n’est jamais sûr de rien. C’est une chanson très sincère. »

KEREN ANN, L’ÂME SOEUR

« C’est une artiste que j’admire énormément, et c’est ma soeur. On a commencé ensemble dans le même groupe il y a vingt ans, on a exactement la même vie, le même âge. Keren Ann pour moi, c’est un peu comme Paul et John (Lennon/McCartney), à toute petite échelle : on est inséparabl­es. On a quand même eu des moments difficiles parce qu’on formait un couple à une époque, mais tout cela a finalement bien résisté et on n’a jamais arrêté de faire de la musique ensemble. »

PLANÈTE FILLES

« Quand on me demande qui sont les “nouvelles chanteuses”, la réponse est immédiate : Clara Luciani, Angèle, Juliette Armanet… Ce sont vraiment les femmes qui ont régénéré, révolution­né la chanson française et personne ne pourra dire le contraire. Pomme, Alma Forrer et bien d’autres… Des filles épatantes qui en avaient marre que des mecs veuillent leur faire chanter des textes à la con et leur disent cinq minutes après : “Je voudrais un contrat en exclusivit­é et puis si on peut coucher ensemble, c’est encore mieux”… »

Mon métier, comme celui des pilotes de F1, a un côté sacrificie­l

PARTAGE CONFINÉ

« C’est d’une violence rare que d’être confiné ou en semiconfin­ement. Parce que notre métier est déjà fait d’incertitud­es. Poster des chansons sur Instagram m’a permis de m’accrocher, de garder un rythme dans la création. J’ai demandé aux gens ce qu’ils avaient envie d’écouter et j’ai adoré faire des reprises de compositeu­rs comme Brassens. La première fois que je me suis enregistré sur mon téléphone, je me suis dit : “Ce n’est pas possible de partager ça !” Et puis ça m’a fait autant de bien que ça en a fait aux gens. Ces vidéos resteront pour moi un merveilleu­x souvenir du confinemen­t. »

ACTEUR

« Je prends un plaisir fou à jouer la comédie, à jouer pour des cinéastes très secrets comme Bruno Dumont, qui vous dirige depuis une autre pièce, à l’oreillette, parfois sans vous donner de script. J’interprète le mari de Léa Seydoux dans son film Par un demi-clair matin, qui était plus que pressenti pour le Festival de Cannes. J’ai aussi le premier rôle masculin, aux côtés de Karin Viard, dans Les Apparences, de Marc Fitoussi : l’histoire d’un couple d’expatriés à Vienne, qui se transforme en thriller. J’y incarne un chef d’orchestre à succès… Je joue un flic corrompu dans Madame Claude, de Sylvie Verheyde, et j’attends que le tournage d’Un hiver en été, une science-fiction de Laetitia Masson, reprenne… »

LA MÉTHODE BIOLAY

« J’adore travailler avec des artistes comme Karin Viard et d’autres, dont le jeu est si puissant qu’il vous permet de faire ce que vous n’auriez jamais imaginé. Je croyais, par exemple, que je n’aurais jamais pu hurler sur quelqu’un – mes colères sont plutôt froides –, ni pleurer à la demande, et je l’ai découvert au cinéma. Je n’ai pas suivi d’école, et je pense qu’il n’y a pas une seule recette pour être un bon acteur, ça dépend des personnali­tés. À mon avis, si on obligeait Gérard Depardieu à suivre la méthode Stanislavs­ki, il égorgerait tous les profs en trois minutes. Pourtant, c’est un immense acteur. »

* « Grand Prix » (Polydor), sortie prévue le 26 juin.

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Benjamin Biolay.

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