Décodage. Mode : la crise, accélérateur du green ?
SURPRODUCTION, SURCONSOMMATION, POLLUTION, DÉLOCALISATION… LA CRISE SANITAIRE A REMIS EN LUMIÈRE LES EXCÈS DE LA FASHION SPHÈRE. CÔTÉ CRÉATEURS ET GROUPES INTERNATIONAUX, LA PRISE DE CONSCIENCE DESSINE UN MONDE PLUS RESPONSABLE.
UN VIRUS VERT EST-IL EN TRAIN DE SE RÉPANDRE DANS LE MONDE DE LA MODE ? Il semble en tout cas que les consommateurs sont atteints d’une fièvre acheteuse pour des vêtements plus durables. C’est ce que montre le rapport 2020 sur la mode responsable du moteur de recherche international Lyst, fraîchement publié. Il explore les habitudes et les requêtes de ses 100 millions de visiteurs ainsi que les recherches Google, les pages vues, les taux de conversion et les ventes, la couverture médiatique internationale et les mentions sur les réseaux sociaux, entre mai 2019 et mai 2020. Il en ressort un intérêt croissant pour les articles écoresponsables, les recherches ainsi ciblées en France ayant augmenté de 50 % sur une période de douze mois. L’Hexagone s’impose désormais comme l’un des pays d’Europe les plus concernés par ce thème, occupant la quatrième position derrière le Danemark, l’Allemagne et l’Espagne. Des envies et des réflexes nouveaux qui rejoignent les aspirations post-Covid de la fashion sphère. Car, durant le confinement, marques et créateurs ont eu tout le loisir de réfléchir aux dysfonctionnements de leur activité et à son impact sur la planète. Les prises de parole en faveur d’un vestiaire plus engagé ont ponctué cette période. C’est ainsi que Giorgio Armani ou Jean Touitou ont fait entendre leur voix pour dénoncer le rythme effréné des collections ou l’emprise du marketing. Une lettre ouverte signée de grands magasins et de griffes internationales, d’Acne Studios à Dries Van Noten en passant par Marine Serre, a aussi mis en avant les travers d’un système menant à la surconsommation. Tous militent pour une production générant moins de déchets dans les tissus et les stocks, des déplacements limités, et un calendrier de défilés allégé, correspondant enfin à la réalité du marché.
LA SURENCHÈRE DANS L’OFFRE A EN EFFET ENGENDRÉ BIEN DES DÉGÂTS : sur la planète Mode comme sur la planète Terre, il n’y a plus de saisons ! Il est temps de remettre les pendules à l’heure. Et alors que des bans de masques chirurgicaux et de gants en plastique, nouvelle forme de
pollution, flottent dans les mers, la mode, elle, doit sortir des eaux troubles de la surproduction, dont les courants l’ont menée à des aberrations comme la destruction de montagnes de vêtements. Un changement de cap qui pourrait bien être la bouée de sauvetage d’un secteur impacté par la crise du coronavirus et qui doit se réinventer en tenant compte des nouvelles attentes en matière d’environnement.
« COINCÉS CHEZ NOUS, ON S’EST RENDU COMPTE QUE L’ON NE PORTAIT QUE TRÈS PEU DE PIÈCES, souligne Élisabeth Laville, de l’agence Utopies, pionnière en matière de conseil en développement durable. Et avec le télétravail qui va s’installer, ces besoins limités vont devenir la norme, car nous ne serons plus tous les jours en représentation. Nous privilégierons les basiques, et pour les moments exceptionnels, on aura, pourquoi pas, recours à la location. » Un point de vue que partage Kevin Tayebaly, cofondateur de ChangeNOW, sommet international pour le changement : « Avec le travail à distance, le rapport au vêtement change. Le casual s’installe. Cela va avoir un impact sur la créativité des designers, mais aussi sur la temporalité de la garde-robe et sur sa consommation ». De nouveaux réflexes qui devraient pousser les griffes à réduire leur offre pour le bien de l’environnement. « Il y avait déjà, avant la crise, une prise de conscience sur la nécessaire remise en cause du système, mais pour moi, désormais, la “Fashion Revolution” a pris corps, analyse Barbara Coignet, fondatrice de l’agence de luxe durable 1.618. On sait qu’il y a bien trop de vêtements sur le marché. Cette période a prouvé qu’il fallait ralentir. On ne planifie plus comme avant. L’idée du stock n’a plus de sens : on ne peut plus les écouler quand les clients sont enfermés chez eux. Cette crise a, je l’espère, permis aux marques d’imaginer un nouveau rapport au dressing, plus long et donc plus durable. Les maisons doivent aussi comprendre que pendant cette période, le consommateur a eu le temps de réfléchir à ses achats et à leurs conséquences. »
CE CONSOMMATEUR A EN EFFET ÉTÉ BIEN INFORMÉ SUR LES PROBLÉMATIQUES DE LA DÉLOCALISATION. Médicaments, masques, denrées… Dès le début de la crise, les médias n’ont cessé de lui expliquer que déléguer les process de fabrication à des milliers de kilomètres rimait avec problématiques d’approvisionnement et pénuries. Résultat : il veut désormais du made in France. Une étude Odoxa, révélée le 13 avril, montrait que 9 Français sur 10 réclamaient une relocalisation des productions et y voyaient un enjeu clé pour l’économie de demain. Ils étaient même 89 % à la défendre « même si cela augmente le prix final ». Mais la mode est-elle aujourd’hui capable de penser et d’agir local ? Pierre-François Le Louët, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, veut y croire. « Dans ce contexte inédit, de nombreuses marques vont disparaître, et celles qui restent devront être plus vertueuses. Cela passe par des collections resserrées, une gestion au plus juste des tissus ou encore par un sourcing de proximité, parce que c’est bon pour la planète, mais aussi parce qu’un atelier près de chez soi est plus accessible en cas de problème. Ce qui est formidable, c’est que, pendant cette crise, on a redécouvert le potentiel de fabrication du pays. Il s’est révélé à travers la production de masques : 1 000 entreprises françaises se sont mobilisées. La majorité était des confectionneurs qui collaborent essentiellement pour le luxe. Ils ont réappris à travailler sur de petits produits accessibles tout en faisant de la qualité. Cela va ouvrir un nouveau dialogue avec les marques.»
ET SI LA FRANCE A LA CHANCE DE POSSÉDER TOUS LES MAILLONS DU SECTEUR et une multiplicité de savoir-faire sur son territoire, il faut maintenant les structurer. À la clé ? Une dynamique nouvelle et une empreinte carbone allégée. « On a vu que notre outil industriel était agile, décrypte Élisabeth Laville. Il faut maintenant surfer sur la résilience dont nous avons fait preuve pour pérenniser toutes les initiatives durables. » Pour une mode plus raisonnée, pas question donc de baisser les bras : c’est le moment ou jamais de retrousser ses manches… fabriquées localement, bien sûr.