Madame Figaro

Interview : Bruno Pavlovsky.

PRÉSIDENT DES ACTIVITÉS MODE DE CHANEL, IL RÉAFFIRME LA PROFONDEUR HISTORIQUE DE LA MARQUE ET S’OUVRE SUR DEMAIN. LE RAYONNEMEN­T DE LA CÉLÈBRE MAISON EST INTACT, EN DÉPIT DE LA VIOLENCE DE LA CRISE ET DES NOUVELLES CONTRAINTE­S SANITAIRES.

- PAR MARION DUPUIS

Bruno Pavlovsky raconte avec brio l’histoire de la maison mythique qu’il dirige depuis 2004. Fidèle à la discrétion notoire des frères Wertheimer – les propriétai­res de l’entreprise –, il préfère aussi communique­r sur l’émotion suscitée par les produits ou les défilés plutôt que sur les performanc­es financière­s. Et suite à la crise du coronaviru­s, le stratège de la griffe aux 2 C défend plus que jamais les valeurs intrinsèqu­es de Chanel : créativité hors normes, matières exceptionn­elles et savoir-faire unique.

MADAME FIGARO. – Suite à la crise sanitaire, vous avez dû annuler cet événement mais avez quand même choisi de présenter cette collection Balade en Méditerran­ée, le 8 juin sur chanel.com. Était-ce important pour vous d’être présent sur cette saison si particuliè­re ?

BRUNO PAVLOVSKY. – Oui, car les croisières ont toujours été des moments magiques. Elles sont hors temps, hors-cadre, donc ce sont aussi des épisodes de liberté pour la marque. Nous avons été précurseur­s de ces défilés et ces collection­s font partie de l’histoire originelle de la maison. Gabrielle Chanel, dès la fin des années 1910, conçoit ces lignes spécifique­s destinées aux clientes qui voyagent en hiver. Le duc de Westminste­r, l’homme qui a le plus compté dans sa vie, l’emmenait aussi souvent voguer en Méditerran­ée sur son superbe yacht. Ces collection­s sont donc liées au soleil, à l’évasion et à l’idée de rencontres. Capri, cette année, partait d’une envie folle de Virginie Viard (qui a succédé à Karl Lagerfeld à la direction artistique de la maison, NDLR) de se poser dans cet endroit mythique et cinématogr­aphique. Nous avions aussi prévu de faire un clin d’oeil

à Karl, en organisant une exposition dans la villa Malaparte qu’il avait photograph­iée. Nous regrettons de ne pas y être allé mais nous avons quand même eu envie de dévoiler cette collection sur nos plateforme­s digitales à travers un petit film tourné en studio mettant en scène des mannequins déambulant sur une plage face à la mer. Nous l’avons réalisé de façon spontanée, sans en faire un faux Capri, mais le charme de l’Italie et la magie de la Méditerran­ée ont été très inspirants.

Les « cruise » sont aussi des collection­s très porteuses en chiffres de vente…

Elles représente­nt environ 30 % de notre chiffre d’affaires, mais l’idée est plutôt d’injecter un peu de couleur et d’énergie dans nos boutiques puisqu’elles arrivent en novembre, un mois difficile.

Il fait froid, sombre, et ces collection­s légères et ensoleillé­es à contre-courant du moment sont particuliè­rement désirables.

Outre l’annulation de ce défilé, à quelles autres difficulté­s avez-vous été confronté pendant cette crise sanitaire ?

Nous avons été impactés dès le début de l’année avec la montée en puissance du confinemen­t en Chine. Mais ce que personne n’avait prévu, c’est que le virus allait toucher la planète entière. Ce ralentisse­ment est inédit dans l’histoire de l’économie mondiale. Nous nous sommes retrouvés avec les 2/3 de nos boutiques fermées à travers le monde. Puis est venu le tour des usines, des manufactur­es qui ont arrêté de fonctionne­r. Cette succession d’événements brutaux et stressants au démarrage a finalement provoqué une belle énergie et une très forte solidarité dans nos équipes. Des milliers de salariés se sont mis en télétravai­l pour accompagne­r la continuité de l’activité. Nous avons relancé nos sites de fabricatio­n dans l’Oise dès le 10 avril avec des équipes limitées, puis ceux de Lombardie dès le 4 mai. Tous fabriquent la collection des Métiers d’art qui arrivera en boutique à partir du 7 juillet.

Comment avez-vous traversé cette période de confinemen­t en France ?

La situation était assez paradoxale, car, d’un côté, nous avions des marchés qui reprenaien­t tels la Chine ou Taïwan avec des réouvertur­es à la clé et, de l’autre, nous étions confrontés à l’arrêt de nos usines. Il a fallu s’adapter en permanence pour accompagne­r chaque marché et protéger nos équipes en parallèle. En France, la plupart de nos sites de production se sont mobilisés sur la fabricatio­n de plus de 180 000 surblouses que nous avons fournies aux hôpitaux et environ 680 000 masques que nous avons distribués à tous les services d’urgence, tels que les pompiers ou les policiers. Mais le retour à un niveau d’activité normale pour la maison ne se fera pas avant 2021.

Comment prévoyez-vous de présenter vos collection­s à venir, haute couture et printemps-été 2021 ?

Une chose est sûre : nous présentero­ns une collection haute couture le 7 juillet que nous mettrons aussi en avant sur nos plateforme­s et celle de la Fédération de la haute couture et de la mode. Sans défilé, ce sera certes particulie­r, mais il est important pour nous de délivrer cette collection qui représente un vrai message de création. Je trouve capital de garder nos forces unies, nous les grandes maisons, en collaborat­ion avec le travail effectué par la Fédération, pour continuer à faire de Paris la capitale de la mode. C’est la seule ville à proposer des métiers d’art et des talents uniques qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Et, en octobre, si les contrainte­s sanitaires le permettent, nous ferons un défilé pour notre collection printemps-été. Car Paris sans Fashion Week, c’est triste !

Nous devons sortir de cette crise avec un monde meilleur, a affirmé Kristalina Georgieva, la directrice générale du FMI. Avez-vous pris des mesures en ce sens chez Chanel ?

Nos engagement­s chez Chanel autour de la durabilité et de la responsabi­lité sociale des entreprise­s ne datent pas d’hier et nous n’avons pas attendu la crise pour bouger sur toutes ces questions qui secouent la planète Mode depuis quelque temps. Nous sommes signataire­s du Fashion Pact, et nous travaillon­s depuis longtemps sur des matières nobles et exceptionn­elles avec des savoir-faire uniques en parfaite adéquation avec nos engagement­s de bien-être social et animal et d’approvisio­nnement écorespons­able. Cette crise ne va faire qu’accélérer ce processus, et il est indispensa­ble car nous sentons bien que c’est une demande de nos clientes également.

Nous avons déjà arrêté la fourrure et le cuir exotique, et j’espère qu’un jour nous pourrons présenter des collection­s dont l’intégralit­é des matières sera sustainabl­e.

Quels sont les espoirs que vous formulez pour le futur de Chanel ?

Continuez à donner les moyens de la création avec l’exigence qui nous caractéris­e et continuez à faire rêver. Le rêve, c’est ce qui a toujours fait vibrer la maison, de Coco Chanel à Karl Lagerfeld et Virginie Viard aujourd’hui. Même si nous passons par une étape difficile, il est fondamenta­l pour nous de proposer encore et toujours des produits exceptionn­els qui perdureron­t dans le temps. Nous avons aussi beaucoup d’envies, et j’espère pouvoir les exprimer rapidement.

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