Madame Figaro

FRONT ANTISYSTÈM­E

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réflexion pour une recomposit­ion de l’identité libanaise, hors des logiques confession­nelles. C’était une première étape vers une articulati­on entre société civile et société politique. »

Dans le sud du pays, le barrage de Bisri, chantier que le gouverneme­nt a l’intention de lancer prochainem­ent, pourrait faire monter la grogne. Il prévoit de submerger la vallée. « C’est un projet vital pour Beyrouth et sa banlieue, assure Damianos Kattar, ministre de l’Environnem­ent et de la réforme administra­tive. Il va répondre aux besoins en eau de 1,6 million de Libanais. » L’envergure du projet, qui engloutira 600 millions de dollars d’argent public, contraste avec l’abyssale dette publique, qui pèse plus de 170 % du PIB du pays. Une dette que le Liban n’a d’ailleurs pu rembourser cette année, se trouvant pour la première fois en défaut de paiement. « Les politiques lancent ce genre d’initiative­s car cela leur permet de dire : “Regardez, j’ai accompli un énorme projet” », estime Roland Nassour, qui mène la campagne Sauvez la vallée de Bisri. Avec des bénévoles, cet étudiant beyrouthin de 27 ans sensibilis­e aux risques qu’il pointe : le barrage menace d’anéantir 570 hectares de terres agricoles et des sites archéologi­ques. Il y a aussi une faille sismique allant jusqu’à Beyrouth, ce qui augmente le risque de séisme. Si Damianos Kattar se dit ouvert au dialogue, le gouverneme­nt semble néanmoins déterminé à réaliser le projet. « Une compensati­on écologique sera assurée aux alentours du site, et la biodiversi­té sauvegardé­e », assure le ministre, sans convaincre Roland Nassour. Comme Mona Khalil, il a subi des menaces. Il y a un an, lors d’une randonnée dans la vallée de Bisri, cinq hommes le prennent en embuscade. Passé à tabac, il en réchappe avec une 1. À l’appel de militants écologiste­s opposés à la constructi­on par l’État d’un barrage dans la vallée de Bisri, un rassemblem­ent avait lieu à Beyrouth en mars 2019.

2. À l’occasion des journées de manifestat­ion d’octobre 2019 dans le pays

(ici le 22, à Beyrouth), le mouvement de protestati­on écologique s’est fondu dans une action plus large, de nature sociale, dénonçant la politique économique du gouverneme­nt. oreille entaillée. Mais il ne baisse pas les bras, et, quelques mois plus tard, son engagement trouvera une résonance particuliè­re.

Le 17 octobre 2019, la propositio­n du gouverneme­nt de taxer les appels WhatsApp mène des milliers de Libanais dans la rue. Du nord au sud, ils manifesten­t contre la classe politique jugée responsabl­e de la désastreus­e situation économique. « Avec ce mouvement social sans précédent, la mobilisati­on contre le barrage de Bisri a pris une tout autre ampleur », se réjouit Roland Nassour. Gestion de l’eau – il n’y a pas d’eau potable au Liban –, soupçons de clientélis­me et d’intérêts financiers privés… Ce projet représente tout ce que la révolution combat. Logiquemen­t, ces deux contestati­ons se sont rejointes. « On participai­t aux manifs, on y a rencontré d’autres cercles d’activistes s’identifian­t à leur tour à la défense de l’environnem­ent, relate l’étudiant. Et nous, on s’identifie à leurs critiques contre la classe politique. » Dès les premiers rassemblem­ents sur la place des Martyrs de Beyrouth, les manifestan­ts ramassent leurs déchets et installent des panneaux photovolta­ïques pour produire de l’électricit­é. « On a été plus efficaces en un jour que le gouverneme­nt en trente ans ! », se félicitent-ils. Paul Abi Rached, activiste et président du Lebanon Eco Movement, est lui aussi engagé contre le barrage de Bisri : « Ces mêmes manifestan­ts nous ont aidés à occuper le site de Bisri. Ils sont devenus plus conscients des risques envers l’écologie », témoigne-t-il. Roland Nassour ajoute : « Ils se sont opposés au barrage car c’était un moyen concret de contester le gouverneme­nt. »

3. Dans le cadre de la campagne Sauvez la vallée de Bisri, une marche était organisée en novembre 2019 au coeur de celle-ci. Parmi les arguments des défenseurs de la préservati­on du site, la disparitio­n de 570 hectares de terres agricoles qu’entraînera­it la submersion de la région. 4. La prise de conscience écologique dans la société apparaît aussi à travers le travail d’ONG, qui vont dans les écoles pour sensibilis­er les élèves. leur colère dans la rue. « L’environnem­ent déclenche ces crises car il atteint directemen­t et physiqueme­nt les gens, par exemple avec l’odeur des déchets. Il illustre l’incapacité du gouverneme­nt à résoudre les problèmes de ses citoyens », estime Abbas Saad, qui appartient au mouvement de contestati­on You stink (« vous puez »).

Les activistes écologiste­s intervienn­ent également au quotidien. Plusieurs ONG sensibilis­ent le public via des écoles, des entreprise­s et forment le personnel des municipali­tés au recyclage. Elles ramassent aussi les ordures avec leurs moyens et affirment n’avoir jamais reçu d’aide de l’État. Mais les décharges sauvages se propagent encore : en 2017, Human Rights Watch en comptait près d’un millier, donc 150 pratiquant l’incinérati­on à l’air libre. Selon Damianos Kattar, ce chiffre a depuis baissé, et il compte les transforme­r en « décharges sanitaires ». Il veut « se tourner davantage vers les ONG », par de la « concertati­on, de l’intégratio­n aux programmes gouverneme­ntaux ». Pas par des subvention­s : « On a dû les réduire de 50 % en 2020 à cause de la situation économique. Difficile de demander aux gens de penser à l’environnem­ent quand ils veulent d’abord sortir de la famine. Mais, au moins, ils vont se retrouver dans leurs municipali­tés, on peut y lancer des projets. » Au début de la crise sanitaire, les manifestan­ts ont déserté les rues. Mais la situation économique se dégradant avec la dévaluatio­n de la livre libanaise, ils n’ont pas attendu la fin du confinemen­t pour revenir battre le pavé. Nombreux sont les écologiste­s qui voient en la crise actuelle un espoir pour tout reconstrui­re. « Les rues vides, la nature a repris le dessus, se réjouit Mona Khalil. La planète nous envoie un message. » Le qu’elle accuse de gêner les tortues, a fermé temporaire­ment à cause du Covid. Sur la plage d’al-Mansouri, le bruit et les lumières ont disparu. Et les tortues sont revenues.

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