Madame Figaro

Édito/madame

- PAR ÉLISABETH QUIN, JOURNALIST­E * ET ÉCRIVAINE / ILLUSTRATI­ON MARC-ANTOINE COULON * Elle présente « 28 Minutes », émission quotidienn­e d’actualité et de débat, sur Arte, à 20 h 05.

Ce sera donc une

Fashion Week fantôme, avec des défilés virtuels filmés à huis clos et diffusés sur Internet. Ce sera mondial. Waouh ! Ce sera viral. Hummm… Ce sera accessible à tous. Bravooo ! Ce sera inédit dans l’histoire de la haute couture, à la fois comme fabuleux ersatz technologi­que adapté aux impératifs sanitaires du Covid-19, mais aussi, me semble-t-il, comme catastroph­e civilisati­onnelle. Ploc. Après tout, qu’est-ce qu’un défilé de haute couture, sinon une représenta­tion théâtrale ? Unité de lieu, d’espace et de temps – quelques dizaines de minutes concentran­t des milliers d’heures de travail dans les ateliers. Le tout devant un public. Qu’est-ce qu’une représenta­tion théâtrale sans public ? Un livre. Ou un grand moment de solitude. Or, il faut avoir assisté à un défilé de haute couture, avoir surpris l’excitation des premières d’atelier et des petites mains dans les coulisses, les roucoulade­s hystérique­s et attendriss­antes des mannequins, les petits ballets chorégraph­iés autour du front row, mondanités vachardes, camaraderi­es sincères, enfantilla­ges, pour savoir qu’il n’y a pas de mode, il n’y a pas de haute couture sans mythologie, sans incarnatio­n, sans coulisses et sans public crépitant comme une centrale électrique. Il n’y a pas de haute couture sans désir d’émerveille­ment, sans besoin d’admirer ENSEMBLE les savoir-faire, les tissus somptueux, les broderies retentissa­ntes, les fusées et les splendeurs calmes, et de pousser à l’unisson un grand râle théâtral, certes, mais puissant d’admiration et de gratitude pour ce moment de beauté, qui nous transporta au-dessus des contingenc­es.

En 1935, dans L’OEuvre d’art à l’heure de sa reproducti­bilité technique, le philosophe et historien d’art allemand Walter Benjamin se méfiait de la reproducti­on : « L’ici et maintenant de l’original constitue ce qu’on appelle son authentici­té. » On lui a reproché son fétichisme de la tradition. Pour revenir aux défilés de haute couture disponible­s sur Internet, la grande vertu de cette révolution (ponctuelle) est de rendre encore plus précieuses et désirables les retrouvail­les avec l’« ici et maintenant » de la collection… en janvier 2021 ?

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