Édito/madame
Ce sera donc une
Fashion Week fantôme, avec des défilés virtuels filmés à huis clos et diffusés sur Internet. Ce sera mondial. Waouh ! Ce sera viral. Hummm… Ce sera accessible à tous. Bravooo ! Ce sera inédit dans l’histoire de la haute couture, à la fois comme fabuleux ersatz technologique adapté aux impératifs sanitaires du Covid-19, mais aussi, me semble-t-il, comme catastrophe civilisationnelle. Ploc. Après tout, qu’est-ce qu’un défilé de haute couture, sinon une représentation théâtrale ? Unité de lieu, d’espace et de temps – quelques dizaines de minutes concentrant des milliers d’heures de travail dans les ateliers. Le tout devant un public. Qu’est-ce qu’une représentation théâtrale sans public ? Un livre. Ou un grand moment de solitude. Or, il faut avoir assisté à un défilé de haute couture, avoir surpris l’excitation des premières d’atelier et des petites mains dans les coulisses, les roucoulades hystériques et attendrissantes des mannequins, les petits ballets chorégraphiés autour du front row, mondanités vachardes, camaraderies sincères, enfantillages, pour savoir qu’il n’y a pas de mode, il n’y a pas de haute couture sans mythologie, sans incarnation, sans coulisses et sans public crépitant comme une centrale électrique. Il n’y a pas de haute couture sans désir d’émerveillement, sans besoin d’admirer ENSEMBLE les savoir-faire, les tissus somptueux, les broderies retentissantes, les fusées et les splendeurs calmes, et de pousser à l’unisson un grand râle théâtral, certes, mais puissant d’admiration et de gratitude pour ce moment de beauté, qui nous transporta au-dessus des contingences.
En 1935, dans L’OEuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique, le philosophe et historien d’art allemand Walter Benjamin se méfiait de la reproduction : « L’ici et maintenant de l’original constitue ce qu’on appelle son authenticité. » On lui a reproché son fétichisme de la tradition. Pour revenir aux défilés de haute couture disponibles sur Internet, la grande vertu de cette révolution (ponctuelle) est de rendre encore plus précieuses et désirables les retrouvailles avec l’« ici et maintenant » de la collection… en janvier 2021 ?