Décryptage : un nouvel air de famille.
LA BULLE FAMILIALE VA-T-ELLE ÉCLATER APRÈS CES TROIS MOIS SOUS LE MÊME TOIT ? RIEN N’EST MOINS SÛR. SI LES LIENS ONT ÉTÉ PARFOIS MIS À L’ÉPREUVE, LES GÉNÉRATIONS ONT AUSSI REDÉCOUVERT LA SOLIDARITÉ ET L’ENVIE DE CRÉER UNE NOUVELLE RELATION À L’AUTRE. BILA
POUR LES FAMILLES QUI AIMENT SE RÉUNIR pour les « grandes vacances », cette année est un peu particulière : après trois mois de confinement passé ensemble, aura-t-on la même envie de se retrouver ? Mi-mars, l’obligation de décider rapidement, lorsqu’on avait le choix, avec qui et où l’on allait vivre le confinement, a poussé bien des gens à envisager leur famille avec un regard neuf. Parce que la famille moderne suppose une forme de liberté individuelle assez peu compatible avec l’idée d’une longue cohabitation forcée. Parce que, de manière à la fois pragmatique et existentielle, la question de contaminer ses proches, en particulier les plus âgés d’entre eux, a soudain été centrale. Chez ceux qui, bien qu’adultes, ont choisi de se confiner avec leurs parents, Nicole Prieur, essayiste et thérapeute familiale, a observé un double mouvement : « On allait chez ses parents parce qu’on s’y sent bien, en sécurité, mais en même temps c’était une façon de les protéger, de prendre soin d’eux. » Ainsi Ava (1), trentenaire parisienne, a foncé en Seineet-Marne dans l’ancienne ferme que ses parents habitent et retapent patiemment depuis les années 1970 : « Je suis asthmatique, ma mère, très mère poule, préférait que je sois là », justifiet-elle. C’était l’occasion, comme elle l’ajoute, de passer du temps avec ses parents vieillissants, et de « prendre le temps de regarder les saisons changer », ce qu’en bonne urbaine suractive, elle rêve de faire, mais ne fait jamais. Lorsque sa soeur enceinte, tout juste libérée de son travail en Italie, les rejoint dans la maison une cohésion familiale profonde se cimente. « Ma mère et moi avons commencé à apprendre l’italien pour ma future nièce franco-italienne. Le soir, on a tous regardé des films italiens des années 1970 que mes parents adorent. » Mais surtout, Ava se trouve soudain dans une position nouvelle : ses parents, des retraités de 67 et 68 ans, en pleine forme et très actifs, sont brutalement désignés comme « fragiles » à cause de leur vulnérabilité supposée au virus. Cela l’émeut : « En partageant leur quotidien, j’ai mesuré le temps qui a passé dans leur corps de manière beaucoup plus fine que quand je reste trois jours. J’ai pris conscience qu’ils ne seront plus là un jour, d’une manière plus douce, moins triste que quand quelque chose survient