Madame Figaro

Petite leçon de DÉTACHEMEN­T JOYEUX

COMMENT DÉCROCHER VRAIMENT, APPRIVOISE­R UNE DIFFICULTÉ POUR MIEUX LA RÉSOUDRE ? DANS SON LIVRE LE PHILOSOPHE OLLIVIER POURRIOL INCITE À RUSER AVEC LES PROBLÈMES POUR ALLÉGER SA VIE.

- PAR MARION LOUIS / PHOTO DAVID ROEMER / RÉALISATIO­N JULIE GILLET

MADAME FIGARO. – Pourquoi est-il difficile de déconnecte­r et de profiter de son temps libre ?

OLLIVIER POURRIOL. – Pour échapper à un problème, il ne suffit pas toujours d’en comprendre la cause. À ce propos, je conseille la lecture de du psychanaly­ste François Roustang, un livre très accessible qui dit, en gros, que se plaindre, c’est entretenir la souffrance.

Il y a plein de gens qui ont compris leur problème et qui n’arrivent pas à ne pas en souffrir. Comme lui, je préconise de passer par le corps plutôt que de ruminer et ressasser.

« Passer par le corps », cela veut dire faire du sport, du yoga ?

Pas seulement. On peut commencer par chercher ici et maintenant une position plus confortabl­e. Parfois, un mouvement très léger, ne serait-ce qu’une façon de s’asseoir, suffit à changer de perspectiv­e. Le vrai repos rend possible une action réelle.

Cela semble un peu trop facile, non ?

C’est contre-intuitif, mais mieux vaut ne pas être collé à un problème 24 heures sur 24 si on veut avoir la moindre chance de le résoudre. Il faut trouver une attention sans effort, presque distraite. C’est le secret de beaucoup d’artistes, d’athlètes, de chercheurs… Le mathématic­ien Grothendie­ck prenait l’exemple d’une noix très dure qu’on voudrait ouvrir. Soit on y va au burin, ce qui demande un effort et une certaine violence, soit on la fait tremper dans un liquide émollient, qui va littéralem­ent dissoudre le problème. Comme quand on fait la vaisselle… Parfois, rien ne sert de frotter : mieux vaut laisser tremper.

En gros, il faut faire l’autruche… L’autruche a peut-être raison. Quand elle met sa tête dans le sable, elle se repose et sera plus à même de courir vite le moment venu. Mais tourner le dos à un problème n’est pas non plus une solution, mieux vaut l’apprivoise­r, et même l’aimer. Un problème est vivant, dynamique. C’est un défi, une occasion d’exercer son imaginatio­n, ses facultés. Mais si on est bloqué, inutile d’insister et de culpabilis­er. C’est le moment peut-être de se changer les idées, de se nourrir des autres, de discuter, de lire, de voir des films, des séries, de se promener. Chercher le mouvement allège la vie. On est dans l’inquiétude mais pas dans l’angoisse.

En fait, il suffirait de lâcher prise… Je n’aime pas cette expression, galvaudée. Demandez à ceux qui pratiquent les arts martiaux, c’est rarement dans le relâchemen­t complet, en étant mou et passif que les choses se produisent. Il faut de la structure dans le repos. Même immobile, on est toujours en activité, toujours vivant.

Et concrèteme­nt, comment fait-on ?

Ça marche très bien dans la vie de tous les jours. C’est la méthode de Descartes : pour alléger une difficulté, il suffit de la découper en petits morceaux. On veut toujours tout résoudre en même temps, à tort. Viser l’horizon, c’est inspirant en termes de désir mais, pour l’efficacité, il faut voir moins loin. Pour ne jamais se sentir débordé ou irrésolu, le philosophe Alain recommande l’emploi du temps. Le respecter militairem­ent, sans se poser de question, ça allège énormément. On ne peut pas tout faire en même temps.

Même en vacances ?

Un bon emploi du temps prévoit aussi les entorses, ou plutôt des moments de vide, sans rien de prévu. Un moment de vacance, c’est un moment où on ne poursuit pas un but. En fait, il faudrait mettre de la vacance dans sa vie de tous les jours et pas seulement trois semaines par an. C’est dans le vide que tout peut arriver, que tout devient possible… Le vide, ça permet de rêver, de remettre de l’imaginatio­n dans tout ce qu’on fait.

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