Madame Figaro

AU SERVICE DE LA VISION DES CINÉASTES

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chinés ou achetés, mais les pièces les plus marquantes, portées par les personnage­s principaux, sont toutes inédites, créées spécialeme­nt pour ce projet et fabriquées dans des ateliers de confection. Un travail titanesque (certains costumes ont été conçus en double exemplaire pour les cascadeurs). Tout l’enjeu pour la chef costumière est alors de tenir les délais – toujours plus courts – et le budget fixé, dont elle préfère ne pas indiquer le montant. Les créateurs de costumes sont des artistes mais aussi des chefs d’entreprise qui jonglent avec les commandes, les intermédia­ires, managent des équipes et peuvent être à la tête d’ateliers de confection qui comptent parfois une quinzaine de personnes. De véritables couteaux suisses, pros du système D, capables de dénicher des trésors à force de frapper aux portes. « Sans le savoir-faire des petites mains des ateliers, tout ce qu’on imagine resterait une idée, un fantasme. C’est un travail d’équipe », insiste Madeline Fontaine (1), une autorité dans la profession, chef costumière multiprimé­e et célébrée dans le monde entier (elle a notamment été nommée aux Oscars et reçu un Bafta pour de Pablo Larraín.)

Pour imprimer leur raffinemen­t sur la pellicule, les créateurs de costumes entretienn­ent des liens étroits avec les réalisateu­rs. « Tout repose sur une compréhens­ion mutuelle, un dialogue permanent », souligne Dorothée Guiraud, à l’origine styliste, nommée pour le César des meilleurs costumes en 2020 pour de Céline Sciamma. « Les cinéastes ont souvent une idée fine de ce qu’ils attendent, à nous de sublimer cette vision, d’en livrer notre interpréta­tion. » Le diable se cache alors dans les détails pour ces perfection­nistes d’une exigence redoutable, quasi obsessionn­elle parfois. « C’est comme un tableau, tout a de l’importance, le biais d’un corset, les revers d’un jupon, les broderies parfois invisibles à l’écran, la patine d’un tissu, énumère Dorothée Guiraud. Je cherche à être le plus juste, tout en apportant une vision contempora­ine de cette histoire qui se déroule dans un XVIIe siècle austère. Il m’a fallu faire une quinzaine d’essais de teintures pour trouver la gamme de couleurs que souhaitait Céline Sciamma, afin de servir cet amour incandesce­nt autant qu’intemporel entre Adèle Haenel et Noémie Merlant. Créer de l’harmonie, voilà notre travail. Que ce soit pour des films d’époque ou pour des films contempora­ins. Lorsque j’ai dû réaliser les costumes de de Thomas Lilti, j’ai passé des heures devant la fac de médecine pour observer comment étaient habillés les étudiants. Cela continue de me nourrir pour la série (Canal+).

Notre rôle est de coller à la réalité tout en la transcenda­nt. » En près de quarante ans de métier, l’esthétisme de Madeline Fontaine – qui a découvert cette profession par le hasard des rencontres, et a débuté avec de Jean Becker – a su marquer les imaginaire­s. Les tenues fastueuses de la série

sur Canal+, c’est elle. Les looks bigarrés de de Noémie Lvovsky, c’est encore elle. Surtout, elle a conçu tous les costumes du film culte,

de Jean-Pierre Jeunet. « Chez lui, tout est storyboard­é. C’est un véritable horloger suisse. Avec le temps, j’arrive de mieux en mieux à le comprendre. Nous travaillon­s ensemble depuis vingt-cinq ans et avons réalisé plusieurs films comme et

On se retrouve chaque fois comme une famille. » Pour Amélie Poulain, interprété­e par Audrey Tautou, il fallait créer une silhouette hors du temps. Comment habiller une fille qui sympathise avec les nains de jardins ? « Avec Jeunet, il faut toujours trouver l’objet qui emmène en voyage dans la mémoire collective. » Alors Madeline a façonné une garde-robe faite de petites robes fluides à pois, de cardigans près du corps et de socquettes glissées dans de gros godillots, qui joue sur les contrastes et signe l’allure singulière et décalée de cette adulte

regard d’enfant rebelle. Ce métier ne consiste pas simplement à créer un costume, mais aussi à dessiner les contours d’un personnage, créer une entité, illustrer l’état d’esprit d’un héros. « Un personnage fictif repose plus intensémen­t sur la vision que l’on en a et que l’on suggère, indique Madeline Fontaine. Un personnage réel implique de le connaître assez pour ne pas le trahir. » Pour de Jalil Lespert, Madeline Fontaine a dû relever le défi de reproduire des pièces iconiques disparues du créateur de mode. « La maison Saint Laurent n’a commencé à garder des archives qu’à partir de 1972. Nous avons dû refaire beaucoup de créations. Il fallait que le résultat soit authentiqu­e, fidèle à la vision de Saint Laurent. Pierre Bergé est venu assister au tournage du fameux défilé russe de 1976. Il a pleuré. J’ai su que nous étions sur la bonne voie. » Lorsqu’elle a travaillé sur de Pablo Larraín, la marge était tout aussi étroite. « Lorsque l’on s’attaque à un personnage historique comme celui de Jackie Kennedy, on n’a pas le droit à l’erreur. Comment retrouver le rose exact du tailleur qu’elle portait à Dallas le jour de l’assassinat du président ?

Une cinquantai­ne de nuances ont été testées pour voir laquelle aurait le meilleur rendu à l’image. » Quand Natalie Portman est arrivée sur le plateau ainsi vêtue, l’émotion était palpable au sein de l’équipe. « C’était le moment de vérité, se souvient Madeline, tout ce travail accompli allait-il être crédible ? »

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