ÉLISABETH LAVILLE
LA THÉORIE DU CULBUTO « Ce qu’on a vécu avec cette période du confinement qui nous a tellement troublés et bouleversés, c’est un peu ce qui se passe quand un culbuto arrête de bouger : on a trouvé une sorte de verticalité, parce qu’on s’est connectés, même contraints et forcés à ce dont on avait vraiment besoin. Pourquoi les enfants – je parle bien sûr de ceux qui évoluent dans une famille aimante, et qui n’étaient pas victimes de maltraitances – ont-ils été si heureux pendant cette période, comme ils nous l’ont beaucoup confié ? Parce qu’ils n’étaient pas en permanence placés dans le futur proche ou lointain, l’étape d’après. Quelle est la phrase qu’entend le plus un enfant dans sa vie ? “Dépêche-toi !”, de t’habiller, d’aller à l’école, de goûter avant d’aller à ton cours de judo, de rentrer faire tes devoirs, de prendre ta douche, de dîner, de te coucher tôt parce que demain il y a solfège, etc. Face à cette multiplication des possibles, des activités, l’enfant, en réalité, n’est jamais entièrement présent là où il est. Or, de quoi a-t-il besoin pour grandir et s’épanouir ? D’être aimé et de se sentir en sécurité, mais aussi d’être présent à ce qui l’entoure : dans le “maintenant”. Du point de vue psychique, c’est très stabilisant et cela laisse le temps et l’espace d’imaginer, d’inventer. Avec le confinement, les enfants se sont mis à ressortir leurs vieux jouets, à jouer avec ce qu’ils avaient sous la main, tous leurs trésors de vie. Et les parents, eux, ont redécouvert leur enfant : ce qu’il aime vraiment, ce dont il a besoin.
Comme s’il avait surgi à eux-mêmes, débarrassé des particules de nos vies agitées. »
DE QUOI AS-TU BESOIN ? « C’est la seule question que les parents devraient poser à leur enfant. Et cela vaut aussi pour l’école. Beaucoup d’enseignants ont été obligés de se remettre en question pendant le confinement. Comme ils ne pouvaient plus forcément dérouler tout leur programme, ils ont été obligés d’aller à l’essentiel. Et d’accompagner autrement leurs élèves. De leur demander : “De quoi as-tu besoin pour que je t’aide ? D’échanger sur Zoom ? De reprendre tel exercice ? Que je t’interroge plus souvent ?” Cette période a posé la question des savoirs fondamentaux : parents et enseignants se sont rendu compte que les maîtriser, ou plutôt les approfondir, c’était la priorité, plutôt que de multiplier les apprentissages. Parce que prendre le temps de lire, aller à son rythme, c’est mieux comprendre ce que l’on lit, donc mieux répondre aux questions, et, du coup, avoir davantage confiance en soi. On l’a vu après le confinement : c’est fou comme les enfants avaient gagné en assurance. Ils ne tremblaient plus dans leur coeur comme tous ceux qui ont peur, en classe, que la maîtresse les interroge. Accepter les difficultés de chacun, féliciter un enfant quand il répond à une question : c’est tout simplement ça le renforcement positif des compétences. Et l’unique moteur de la motivation. »