Madame Figaro

MAÏMOUNA DOUCOURÉ,

“Je m’attache à raconter la France plurielle”

- Maïmouna Doucouré est la réalisatri­ce de « Mignonnes », actuelleme­nt en salles.

Avez-vous déjà été confronté au racisme ?

J’avais 6 ans. Nous étions dans la cour de récréation. Louise, avec qui j’avais l’habitude de jouer, a refusé de me donner la main et m’a lancé : « Tu es noire ». Plus que les paroles, c’est le mépris et le dégoût qu’il y avait derrière ces mots qui m’ont blessée. Plus tard, adulte, une femme qui pensait me faire un compliment me dit : « Tu es jolie parce que tu n’as pas les traits négroïdes. » Cela m’a mise en rage. Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’il faut avoir les traits fins pour être beau ? Être proche du caucasien ? Trop de gens souffrent de ce diktat de la beauté. On se regarde dans le miroir et on ne s’aime pas. L’estime de soi se délite. J’ai manqué de rôles modèles dans les médias ou au cinéma. Il n’y avait que des stéréotype­s « Y’a bon Banania » ou des clichés (nounou, femme de ménage, prostituée…). Tout cela est très violent parce que cela revient à dire à l’autre qu’il ne compte pas dans la société ou qu’il existe mais seulement en tant que subordonné.

Quel impact cela a-t-il eu sur votre constructi­on ? Sur les bancs de l’école, on apprend que la colonisati­on n’est qu’une mission civilisatr­ice, sous-entendu, un service rendu à ces « pauvres » Noirs culturelle­ment et intellectu­ellement inférieurs. Croyez-moi, quand le professeur nous enseignait cela, j’avais envie de partir pour ne pas avoir à affronter ces regards de pitié sur la pauvre négresse, sans ancêtre héroïque, que j’étais. Avant d’en apprendre un peu plus par moi-même sur l’histoire africaine, sa grandeur, sa philosophi­e, sa science, ses arts, ses civilisati­ons, ses figures, la vraie histoire de l’esclavage et de la colonisati­on. Aucun enfant de la République ne devrait se sentir mis au ban de la société. L’inclusion sociale est une nécessité absolue. Une grande nation est une nation qui célèbre son histoire héroïque et qui regarde en face ses zones d’ombre. Arrêtons de travestir ou d’enjoliver le passé.

En quoi êtes-vous actrice du changement ? Quand on est Noir, le combat contre la discrimina­tion et la stigmatisa­tion est intrinsèqu­ement lié à nos vies et à notre quotidien. Cela fait partie de nous. Aussi, on est dans une perpétuell­e transmissi­on de valeurs fortes auprès des plus jeunes qui nous entourent afin que l’estime de soi deviennent une arme redoutable déjouant tout plafond de verre. En tant que réalisatri­ce, je m’attache à raconter cette France plurielle et à faire exister des héros différents qui permettent d’ouvrir les imaginaire­s et d’élargir le champ des possibles. J’ai l’opportunit­é de faire entendre ma voix à travers ce précieux art qu’est le cinéma, alors « Action ! ».

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