Madame Figaro

LAURENCE LASCARY,

“Le cinéma est un outil puissant pour faire changer les mentalités”

- Laurence Lascary a produit le documentai­re « La Parisienne démystifié­e », de Rokhaya Diallo. Sortie prochainem­ent.

Avez-vous déjà été confrontée au racisme en France ? Évidemment, oui. Ce n’est pas anodin d’être Noir, mais je pourrais aussi dire maghrébin, asiatique… Petite, j’ai eu le droit à des remarques telles que : « Noir, c’est la couleur du caca », ou « Tête de Mickey », avec mes cheveux non tressés coiffés en couettes. Je garde un souvenir douloureux, traumatisa­nt même, de ce « sale Noire » asséné par deux fillettes avec qui je partageais ma chambre dans une colonie de vacances. Cette insulte a eu l’effet d’une gifle. J’en ai pleuré de rage et de tristesse. Plus tard, à la fac de Créteil, on m’a aussi traité de « racaille » parce que je venais de Bobigny en Seine-Saint-Denis, l’un des départemen­ts les plus stigmatisé­s de France dans les médias et au cinéma… C’est ça le racisme : on vous attribue un rôle, une place, sans autre forme de procès.

Quel impact cela a-t-il eu sur votre constructi­on ? L’injustice provoque un vif sentiment de révolte. Très jeune, j’ai commencé à m’interroger sur la façon dont on représenta­it les Noirs à l’écran car nous étions abreuvrés de clichés. Par exemple avec l’émission de Stéphane Collaro, où l’acteur qui envoyait la pub était une caricature de Bamboula. Il y avait aussi le sketch de Michel Leeb… En fait, mis à part quelques programmes télé américains comme le ou la diversité à l’écran en France était au mieux catastroph­ique, au pire inexistant­e. Se construire avec de telles images engendre une dévalorisa­tion plus ou moins consciente de ce que vous êtes et de ce que vous incarnez.

En quoi êtes-vous actrice du changement ? Au-delà de mon amour pour le cinéma, mon désir d’être productric­e vient de cette nécessité à déconstrui­re les stéréotype­s J’ai fondé ma société de production, De l’autre côté du périph’, en 2008, avec cette intention : montrer une France peu ou pas représenté­e, mettre en valeur les talents issus de la diversité et proposer des oeuvres qui traiteraie­nt du vivre-ensemble. Le cinéma est un outil puissant.

Je veux donner le stylo à des personnes issues des minorités pour qu’elles écrivent leur propre histoire. Mais nous avons dix ans de retard. Tant que les décideurs, qui ont le droit de vie et de mort sur un projet de film (pour le financer, le distribuer…), ne reflètent pas davantage la diversité de la société française, la situation ne bougera pas. Heureuseme­nt, des avancées s’opèrent. Avec le collectif 50/50 (dont elle est l’une des coprésiden­tes, NDLR), nous avons fait signer notre Charte pour l’inclusion à une large majorité dans tous les corps de métier du cinéma et de l’audiovisue­l. Cela les engage à promouvoir la diversité dans leurs récits comme dans les castings, tout en respectant la liberté de création. Il n’y a pas de contrôle, on est dans l’incitation, mais nous réfléchiss­ons à aller au-delà.

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