Madame Figaro

KAREEN GUIOCK,

“Le racisme ordinaire ? Vous n’êtes pas un être humain, vous incarnez un préjugé”

- * Du lundi au vendredi, à 12 h 45.

Avez-vous déjà été confronté au racisme ?

Beaucoup plus souvent que je ne veux bien l’admettre. Parce que c’est insupporta­ble, je me suis longtemps évertuée à tout relativise­r ou à cultiver une forme de déni pour négocier avec la douleur. Mais depuis quelques années, je fais le chemin inverse. J’observe, je relève, je ressens, pour faire face à la réalité. Je vais vous raconter une anecdote, parmi d’autres. Il s’agit de racisme ordinaire, la forme la plus pernicieus­e du racisme. Il y a dix jours, je vais voir une de mes amies joaillière, près de la place Vendôme, à Paris. Je portais un tailleur chic, des sandales d’une grande maison de luxe française et j’avais un bouquet de fleurs à la main. Au moment où j’entre dans la cour, un homme se tourne vers moi : « Ah, c’est vous qui m’amenez mes clés de scooter ? » Il m’a prise pour un coursier ! Ça, c’est une spécificit­é du racisme ordinaire. Vous n’êtes pas un être humain, vous incarnez un préjugé. Votre interlocut­eur se dévoile en étant persuadé de vous avoir identifié. Combien de fois, dans une boutique, des clientes viennent me demander des tailles ? Combien de fois des gens se permettent de me tutoyer, alors qu’ils vouvoient ceux qui ne sont pas noirs ? Ce sont des réflexes inconscien­ts, fruit d’une longue histoire.

Quel impact cela a eu dans votre constructi­on ? L’obligation d’être irréprocha­ble. Je n’ai jamais couru le risque de compter sur l’indulgence des autres. Pourtant, j’ai toujours considéré que ma couleur de peau ne pouvait, ne devait pas être un obstacle. Grâce à mes parents, j’ai un socle extrêmemen­t solide, une estime de soi saine et la force de surmonter les embûches. J’ai grandi en Guadeloupe et en Guyane, où des figures comme Christiane Taubira sont fondatrice­s. Les Afro-Américains ont également joué un rôle majeur dans ma vie : ils m’ont sauvée. Lorsque j’étais adolescent­e, c’est de leur côté que je me suis tourné. Dans des magazines comme je découvrais des visages d’artistes, de scientifiq­ues, de chefs d’entreprise, de juges qui me ressemblai­ent, qui incarnaien­t la beauté, la réussite. C’était un monde auquel je n’avais pas accès, mais je savais qu’il existait.

En quoi êtes-vous actrice du changement ?

On ne peut pas être noire sans aspirer à l’égalité. Pas plus que l’on ne peut être femme sans aspirer à l’égalité. Ceux qui y opposent un frein se font souvent les porte-parole douteux des Français. Leur argument est de dire que les Français, donc, ne sont pas prêts. Prétexte qui ne résiste pas à l’épreuve des faits. Ma seule présence à la tête du JT de M6 * démontre que des patrons de chaînes peuvent confier la plus gratifiant­e des émissions d’informatio­n nationale à une femme noire, saison après saison, sans noter une autre tendance qu’une progressio­n des audiences.

Le combat sera remporté quand…

… ceux qui ne subissent pas le racisme cesseront de penser que ça ne les concerne pas. Leur pseudoneut­ralité nourrit le racisme. Ils doivent prendre position en faveur de l’égalité, de l’humanité. Finissons-en aussi avec le deux poids, deux mesures. Certains peuvent tenir des propos abjects, déshonorer la France et pourtant continuer à s’exprimer librement.

Il faut s’attaquer à ces contradict­ions qui ne font que renforcer le sentiment d’injustice. J’ai souvent le sentiment, que dans l’espace médiatique, personne ne me protège, personne ne fixe de limites aux attaques que je peux subir en tant que femme noire. Enfin, si une mesure devait être prise tout de suite, je militerai pour les quotas. J’y ai longtemps été opposée. Mais spontanéme­nt, l’égalité ne se fait pas. Sans la loi en faveur de la parité en politique, des dizaines de femmes n’auraient jamais pu accéder à l’Assemblée nationale. Soyons volontaris­tes.

Le Royal Lyon

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