Madame Figaro

Le détourneur DE TEMPS

ARTISTE NEW-YORKAIS POLYMORPHE ET PROLIFIQUE, ADULÉ PAR LE PUBLIC, IL N’A DE CESSE DE QUESTIONNE­R LA TEMPORALIT­É. AU MUSÉE GUIMET, À PARIS, OÙ IL EST INVITÉ, CET ARCHÉOLOGU­E DU FUTUR REVISITE L’ANTIQUE ET EN DÉTOURNE LES CODES. RENCONTRE AVEC UN MAÎTRE

- PAR ANNE-CLAIRE MEFFRE

ONVIÉ À DIALOGUER avec les collection­s permanente­s du Musée Guimet, à Paris, par sa directrice Sophie Makariou, Daniel Arsham travaille à cette carte blanche depuis plus de deux ans, à partir des moulages d’anciennes statues conservés par la Réunion des musées nationaux (RMN). Comme pour les objets quotidiens qui l’ont rendu célèbre et qu’il transforme en pièces archéologi­ques du futur, poétiques et dérangeant­es, il imagine leur aspect dans des milliers d’années. Il les réinterprè­te dans un autre matériau, le cristal de calcite bleue, qu’il façonne comme autant de blessures organiques infligées par les siècles… L’idée de s’emparer de sculptures historique­s l’habitait depuis longtemps : « Je n’avais jamais imaginé, avant cette invitation, que cela serait possible. Quand j’ai vu dans les ateliers de la RMN toutes ses reproducti­ons d’oeuvres du Louvre et de tant d’autres musées, je ne pouvais pas en croire mes yeux », raconte-t-il avec gourmandis­e, par vidéo, depuis son vaste studio new-yorkais. Un premier volet de cette série a été montré à la galerie Perrotin, en janvier dernier, à Paris, dans l’exposition De ses sculptures antiques revisitées, le Musée Guimet a retenu la Vénus d’Arles et la tête de l’Hercule Farnèse, auxquelles s’ajoutent, entre autres, des oeuvres khmères ou une lanterne japonaise. Au côté vestiges de civilisati­on de ses oeuvres, qui évoquent immanquabl­ement une fin, une ruine, il ajoute un versant optimiste : « Il y a un symbolisme caché dans le cristal. Même si les objets ont l’air de se désintégre­r, le cristal est associé à l’idée de croissance. Il y a donc deux façons de lire ces pièces : elles tombent en miettes ou bien elles grandissen­t, évoluent, dans un temps coulissant qui verrait les oeuvres de toutes les cultures se mélanger. »

Dans la rotonde du musée, au quatrième étage, Daniel Arsham installe un jardin zen en sable de cristal bleu : « Ma femme est franco-japonaise. Je vais souvent avec elle au Japon et je suis fasciné par ces jardins : leur dessin est le même depuis parfois des centaines d’années, mais ils sont refaits tous les jours. Je trouve magnifique cette oscillatio­n entre permanence et éphémère. Alors qu’on ne peut les voir que le jour, j’ai eu la chance d’en visiter un de nuit à Kyoto, sous la lumière de la lune qui en accentue les lignes. » D’où ce bleu nocturne… De la Rome antique à l’Asie éternelle, du passé à un futur de fiction, Daniel Arsham invite à une belle et troublante danse dans le temps…

« Carte blanche à Daniel Arsham – Moonraker », du 21 octobre au 25 janvier, au Musée Guimet, à Paris. guimet.fr

L’Hercule Farnèse (dont Daniel Arsham n’a repris que la tête, NDLR) est une des oeuvres les plus célèbres de l’Antiquité. Je l’ai longuement étudiée. Je suis très heureux de pouvoir l’inclure dans l’exposition.

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Je n’avais encore jamais travaillé juste sur une pièce dont il manque la tête. Cette divinité féminine a des détails incroyable­s.
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