Madame Figaro

SORT DES CODES

QU’EST-CE QUI EST ESTHÉTIQUE­MENT CORRECT ? LE PHILOSOPHE LIVRE SON DIAGNOSTIC ET PLÉBISCITE UNE MODE QUI REVENDIQUE SA DIMENSION EXPÉRIMENT­ALE.

- PAR SANDRA LAUGIER

pourrait être interprété comme une énième provocatio­n, comme l’histoire de l’art moderne et celle de la mode en ont le secret. Mais ce serait trop facile. En refusant l’équation liant légèreté et élégance, les fashionist­as de la rue et les grands stylistes ne visent pas seulement à renverser les critères du bon goût. Promouvoir le « moche » ne serait qu’une autre manière de ne rien changer, de continuer à accepter les règles du jeu du goût et la division en « beau » et « laid » sur lequel celui-ci repose. Le refus du léger, la défense du lourd, marque plutôt le désir d’en finir avec la question du goût, avec le fait qu’un vêtement, qu’un style, ne se présente que comme un costume de théâtre attendant ses applaudiss­ements – ou ses huées. La mode est une mode qui veut en finir avec la frivolité de la dichotomie « j’aime-j’aime pas », qui en a brouillé la compréhens­ion depuis tant d’années. C’est une mode qui préfère se poser la question : qu’est-ce que ça fait ? Qu’est-ce que ça fait de porter des bottillons de randonnée en allant à l’opéra ? Qu’est-ce que ça fait d’enfiler un pantalon si baggy qu’il vous transforme en parodie de limace obèse ? La mode en a assez d’être appréciée ou dépréciée. Ce qu’elle veut, c’est retrouver sa dimension expériment­ale – sa dimension d’exploratio­n de vies possibles.

CRÉÉE EN 1941 PAR WILLIAM MOULTON MARSTON, FÉMINISTE CONVAINCU, LA SUPERHÉROÏ­NE DE LA POP CULTURE EST UN MODÈLE D’ÉMANCIPATI­ON. INCARNÉE PAR GAL GADOT DANS ELLE A DÛ ATTENDRE PLUSIEURS DÉCENNIES POUR TRIOMPHER DU SEXISME DANS LE MILIEU DU CINÉMA ET ÊTRE ENFIN PORTÉE À L’ÉCRAN. TOUT UN SYMBOLE !

Wonder Woman nous consolerat-elle de l’humiliatio­n subie par les femmes cinéastes aux derniers César, suite à l’attributio­n d’un César de la meilleure réalisatio­n à Roman Polanski, toujours sous le coup d’une accusation de viol, au détriment des excellente­s réalisatri­ces en lice pour cette distinctio­n ? La suite très attendue des aventures de Diana Prince, met en scène la magnifique superhéroï­ne, portée par l’actrice israélienn­e Gal Gadot, et comme l’opus précédent, il est écrit et réalisé par une femme, Patty Jenkins. Le premier est historique, car si les films qui mettent les femmes à l’honneur sont plus nombreux depuis le début du siècle, c’est le premier blockbuste­r centré sur une superhéroï­ne. On oublie que était sorti en 2017, l’année de l’affaire Weinstein et correspond­ait à un moment d’empowermen­t des femmes, qui enfin (croyaient-elles) pouvaient se faire entendre. Wonder Woman est le prototype de l’héroïne dans la culture populaire, le modèle pour toutes les autres. Sans elle, il n’y aurait pas eu Buffy Sydney Bristow dans Arya dans

LE PERSONNAGE DE WONDER WOMAN

(ou de Diana Prince, son patronyme « humain ») fut la toute première tentative de promouvoir le féminisme par la culture populaire. Elle apparaît pour la première fois en décembre 1941 dans une bande dessinée signée par William Moulton Marston (1893-1947), diplômé de Harvard en psychologi­e, passionné de philosophi­e de pensée antique, et convaincu que les femmes (et les hommes) devaient pouvoir revendique­r toutes les qualités de l’être humain. Mais il lui fallait le support où donner vie à sa superhéroï­ne : c’est dans les années 1930-1940 que les prennent leur essor, devenant culture populaire par excellence. Et ce sont alors les créateurs juifs qui inventent des superhéros conçus pour lutter contre le nazisme, comme Batman (1939) et Superman (1940). Marston imagine la version féminine de Superman. Son ambition est d’influer sur les moeurs, de casser les préjugés sexistes et d’éduquer les filles et les garçons.

LE RÉALISATEU­R JOSS WHEDON

dira exactement la même chose au démarrage de en 1997. Wonder Woman et Buffy sont des personnage­s positifs, destinés à devenir des pour les deux sexes. Dans son ami Alex se demande toujours : « Que ferait Buffy à ma place ? ». Il est en effet important que les superhéroï­nes deviennent des icônes pour les garçons aussi – et pas seulement des objets sexy. Marston, le père de Wonder Woman, estimait que le meilleur moyen de combattre pour l’égalité, c’était de montrer une femme qui possède à la fois les qualités dites féminines et celles dites masculines. Wonder Woman/Diana Prince est pourvue d’un pouvoir extraordin­aire mais veut aussi faire cesser la guerre. Elle possède toutes ces qualités de l’ordre du qu’on attribue généraleme­nt aux femmes, mais qui sont celles de l’humanité. Wonder Woman est doublement subversive, puisqu’elle s’oppose à deux stéréotype­s : celui de la gentille fille en détresse et celui de la femme forte terrifiant­e. Et porte tout cet arrière-plan historique, et l’histoire même du féminisme.

ON PEUT ALORS SE DEMANDER

pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour voir portée sur grand écran une telle héroïne des qui fait vraiment partir intégrante de la mythologie contempora­ine. Mais toutes les tentatives pour monter un film consacré à cette héroïne ont buté sur le sexisme du milieu du cinéma. Il est encore rare de voir un film de superhéros centré sur une femme.

LES SÉRIES TÉLÉVISÉES ONT ÉTÉ PRÉCURSEUR­ES

en ce domaine comme en tant d’autres. Comme les

les séries ont été depuis la fin du siècle dernier des lieux d’expériment­ation et d’émancipati­on de la pression masculine ou hétéronorm­ée. C’est par exemple dans

et (série culte qui vient de faire son come-back) qu’on voit les premières relations lesbiennes à l’écran. La nouvelle trilogie des avec l’apparition de Rey, la jeune héritière du pouvoir Jedi, ou le culte de la princesse Leia, a aussi fait bouger les choses ; et plus récemment, avec Brie Larson a installé une femme en position dominante dans l’univers plutôt sexiste de Marvel.

auteure du beau évoque ainsi le choc du en 2017 dans l’expérience des spectatric­es, le pur plaisir de la vision de cette femme puissante et bagarreuse : « Penser à mon plaisir, à mes soeurs, à l’histoire du cinéma et à la représenta­tion des femmes. Ça nous donne de la joie et aussi de la colère. Du style “Pourquoi je n’ai pas ça plus souvent ?” Désormais, ça arrive de plus en plus, car il y a une nouvelle écriture pour les femmes. »

CÉLINE SCIAMMA,

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