Madame Figaro

Spécial/philo La philo a DROIT DE CITÉ

POURQUOI SERAIT-ELLE CANTONNÉE AUX CERCLES D’INITIÉS ? CINQ ÉCLAIREUSE­S DÉFENDENT SON UTILITÉ À L’ÉCOLE, À L’HÔPITAL, EN ENTREPRISE, EN PRISON... PENSER POUR FAIRE SOCIÉTÉ : LE SENS DE LEUR ENGAGEMENT.

- PAR ISABELLE GIRARD / PHOTOS DAVID COULON

POURQUOI EST-IL CAPITAL DE FAIRE ENTRER LA PHILOSOPHI­E DANS LA VIE DE LA CITÉ ? Parce que nous sommes pris dans un flot incessant d’informatio­ns. Une nouvelle chasse l’autre. On se passionne un jour pour les feux de forêt en Californie ou la réforme des retraites et le lendemain, on n’y pense plus. La philosophi­e, elle, nous apprend à prendre notre temps, à nous asseoir un peu sur le chemin pour reprendre notre souffle. S’éloignant du torrent des chaînes d’infos et des réseaux sociaux, elle nous permet de renouer avec l’essentiel et de réfléchir dans le cadre de ce que Nietzsche nommait des « considérat­ions inactuelle­s ». Elle nous montre la permanence des choses derrière l’apparence du changement, nous invite à prendre du recul et de la hauteur pour penser la complexité du réel. Que ce soit en prison, dans l’entreprise, à l’hôpital, la philosophi­e est l’antidote à la robotisati­on de l’être humain.

ACTRICE ET CHERCHEUSE, SPÉCIALIST­E DE LA PHILOSOPHI­E POUR ENFANTS

« Pour moi, les bénéfices de la philosophi­e telle qu’on peut la pratiquer de 5 à 17 ans sont au nombre de trois. Le premier est d’ordre cognitif. La philosophi­e va permettre aux enfants de prendre conscience qu’ils sont des êtres pensants, uniques, qui peuvent avoir des opinions personnell­es et fabriquer des idées nouvelles. Grâce à cet enseigneme­nt philosophi­que, ils vont prendre le temps de penser. Le deuxième bienfait est une conséquenc­e du premier. Le fait de prendre conscience de leur pensée va leur donner une plus grande légitimité, une plus grande estime d’eux-mêmes et, par la suite, une plus grande liberté pour penser les grandes questions que tout le monde se pose. Le fait de comprendre que face à ces milliers de questions, il y a des milliers de réponses permet de rompre avec les modèles de compétitio­n ou de performanc­e, où il n’y a qu’une seule vérité qui vaille ou qui gagne. Enfin, la philosophi­e apprend à dialoguer. Par ce dialogue, qui peut être contradict­oire, l’enfant prend conscience d’appartenir à une humanité diverse. La philosophi­e fédère la multitude des idées sur le monde. »

« Un, deux, trois… Pensez ! », Éditions Chronique sociale (2019).

« La chaire de philosophi­e à l’hôpital est née d’une expérience douloureus­e : l’accident d’un proche, sa lutte entre la vie et la mort, son séjour dans les soins intensifs, la lutte de nouveau pour le rétablisse­ment, la rééducatio­n, le récit de soi retrouvé. C’était à Garches, en 1993, et là, l’idée de placer une chaire de philosophi­e à l’hôpital, et non pas à l’université, comme un service hospitalie­r en lien avec les autres services, les patients et les soignants, les familles, m’a paru évidente. Nous soignons une personne et non une maladie, l’approche subjective du soin est donc importante. La chronicité transforme notre rapport à la santé, au corps, à la société : l’approche holistique du soin est obligatoir­e. On sait le mal-être qui traverse les soignants, l’épuisement profession­nel des équipes et des internes. Réfléchir sur nos pratiques, nos moyens, le sens de la fonction soignante en partage, tout cela va dans le sens d’une présence accrue des humanités à l’hôpital. Avoir aussi un lieu où l’on peut prototyper et expériment­er, et pas uniquement enseigner et faire de la recherche. »

« Ci-gît l’amer. Guérir du ressentime­nt », Éditions Gallimard (2020).

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 ??  ?? PROFESSEUR­E AU CNAM, TITULAIRE DE LA CHAIRE HUMANITÉS ET SANTÉ, DIRIGE LA CHAIRE DE PHILOSOPHI­E À L’HÔPITAL GHU PARIS PSYCHIATRI­E ET NEUROSCIEN­CES
PROFESSEUR­E AU CNAM, TITULAIRE DE LA CHAIRE HUMANITÉS ET SANTÉ, DIRIGE LA CHAIRE DE PHILOSOPHI­E À L’HÔPITAL GHU PARIS PSYCHIATRI­E ET NEUROSCIEN­CES

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