Madame Figaro

Pause philo,

- par Gilles Vervisch.

Après le confinemen­t, le reconfinem­ent, et le retour de « l’attestatio­n de déplacemen­t dérogatoir­e ». La différence, c’est que les enfants vont à l’école, et, surtout, que l’on peut sortir la journée pour aller travailler… si l’on a encore un travail. Un régime de semi-liberté, quand le prisonnier rentre le soir à la maison d’arrêt. Et comme les bars, restaurant­s, magasins et salles de spectacle sont fermés, le samedi ressemble au dimanche : c’est l’ennui ! Comment échapper à ce régime ? Il reste la télé, peut-être, et le fameux binge-watching, qui consiste à s’enfiler des épisodes de séries télé comme des carrés de chocolat, jusqu’à la nausée. À quoi bon vivre dans ces conditions, plus ou moins privés de toute vie sociale ?

« Le malheur des hommes vient d’une seule chose, écrivait Blaise Pascal dans ses Pensées, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » Une citation déjà copieuseme­nt reprise pendant le confinemen­t. En même temps, quel intérêt peut-il y avoir à rester assis sur son lit sans rien faire ? On se plaint d’être overbooké, épuisé par la charge mentale, le travail, et, quand on a enfin un moment « à soi », on ne sait pas quoi en faire. Mais l’esprit ne peut pas rester « en repos ». Comme le suggère Pascal luimême, quand on ne fait rien, on ne pense pas à rien, mais on pense au rien, au vide, au sens de la vie ou, plutôt, à son non-sens. Alors, on préfère éviter d’y penser. Une vérité prouvée scientifiq­uement à travers une expérience menée par l’université de Virginie en 2014 : on demandait à des personnes de rester seules juste un quart d’heure, assises dans une pièce vide, sans aucune distractio­n. Celles qui n’y tenaient vraiment plus pouvaient appuyer sur un bouton pour s’envoyer une décharge électrique. Résultat : une majorité – 67 % des hommes en tout cas – a préféré s’électrocut­er plutôt que de ne rien faire.

Il faudrait donc « savoir s’ennuyer » et rester à ne rien faire, mais pour quoi faire ? Penser ? Au sens de sa vie peutêtre, à son passé, et surtout à son avenir. Comme le remarque le philosophe anglais Bertrand Russell dans

La Conquête du bonheur, le cerveau humain a besoin de repos, comme la terre : trop de travail et de distractio­ns, même, épuisent notre énergie. On a besoin « d’endurer une monotonie féconde ». Il n’est pas tout à fait inutile de laisser à son esprit un peu de liberté. L’ennui du reconfinem­ent, c’est peutêtre l’occasion de réfléchir un peu pour inventer l’avenir, créer un monde nouveau, pour soi-même et pour tous, différent de celui qui nous a justement conduits jusque-là, à se voir imposer des attestatio­ns de déplacemen­t.

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