Madame Figaro

Musique, séries, télévision, musique…

- PAR PAOLA GENONE

Son roman Petit Pays vient d’être adapté au cinéma. Gaël Faye, artiste pluridisci­plinaire franco-rwandais, revient maintenant avec un nouvel album, Lundi méchant (1), plein de force. Son rap est frappé de la plume d’un écrivain. Sa scansion défie la loi de la gravité. Libératoir­e !

Madame Figaro. – Lundi méchant…, un drôle de titre pour un album. Que signifie-t-il ?

Gaël Faye. – Le lundi méchant, dans notre culture rwandaise, est une expression qui dépeint ces jours où l’on décide de se rebeller contre

un scénario de vie qui a été écrit pour nous. Je suis toujours allé à contre-courant : j’ai fui le Burundi à 13 ans au début de la guerre civile et du génocide des Tutsis au Rwanda. J’ai réussi mes études, travaillé dans la finance à la City de Londres, et un jour, un lundi méchant, j’ai tout plaqué pour écrire et faire de la musique. Qu’est-ce qui porte ce deuxième album ?

Les mots, l’écriture. Ce sont mes repères car la vie m’a appris que sans eux tout finit par s’effacer. Je suis obsédé par la mathématiq­ue des mots, la symétrie des couplets qui fait émerger le sens comme dans La Mauvaise Réputation, de Brassens. Je recherche la capacité de Gainsbourg à surprendre, à jouer avec l’onomatopée, à poser les syllabes là où on ne s’y attend pas. Il ciselait les mots comme un joaillier scelle son destin avec les gemmes. Je travaille aussi beaucoup avec le corps : dans ma chanson Respire, je cherche une danse de la langue, comme le faisait Brel.

Cet album est aussi irrigué de soul et de blues à travers des magnifique­s collaborat­ions, dont celle avec le grand Harry Belafonte. Racontez-nous…

Harry Belafonte est mon héros. Je l’ai découvert enfant au Burundi en écoutant son disque avec Miriam Makeba. Il m’a accordé l’immense privilège de me recevoir à New York. Dans son salon de Manhattan, il m’a fait écouter des negro-spirituals, des enregistre­ments de Muddy Waters et de Memphis Slim, il m’a raconté ses rencontres musicales avec Charlie Parker et militantes avec Martin Luther King. Il m’a parlé de son engagement assumé : « Je suis un activiste qui fait de la musique », m’a-t-il dit. C’est grâce à Harry Belafonte et au programme de bourses pour les étudiants d’anciennes colonies, qu’il a créé avec Eleanor Roosevelt au début des années 1960, que le père de Barack Obama s’est installé aux États-Unis ! Je rêvais de chanter une chanson avec lui, et il m’a proposé d’en puiser une dans son répertoire. J’ai choisi

Jump in the Line que j’ai enregistré­e à New York avec ses musiciens. Nous l’avons jouée pour son 93e anniversai­re à l’Apollo Theater !

Parmi vos chansons, il y a la poignante Seuls et vaincus, dont le texte a été écrit par Christiane Taubira…

Oui, elle a été extrêmemen­t généreuse et courageuse en écrivant ce poème puissant, juste après avoir quitté sa fonction de ministre. Je l’ai mis en musique et chanté avec Mélissa Laveaux, merveilleu­se chanteuse de Montréal.

Votre roman Petit Pays a été adapté au cinéma par Éric Barbier, et vous venez de publier L’Ennui des après-midi sans fin (2), un beau livre illustré par le BD reporter Hippolyte. Un objet qui nous parle d’imaginaire et de rêve, alors que le temps y semble suspendu…

C’est étrange de se sentir aussi créatif en pleine ère Covid. Ma fille de 10 ans m’a dit récemment : « Avec mes copines, on pense à maintenant, car le futur nous fait peur. » Mon livre est une réponse, et comme l’une des chansons de l’album le dit : « Dans leur monde sans espoir, ils voudraient qu’on s’alarme, mais rien de grave se prépare. Bébé, tout est déjà là. » Dans nos sociétés obsédées par la maîtrise, la présence de ce virus nous oblige à lâcher prise, à être plus conscients et à créer quand on est artiste. La création sert à aider, à trouver du sens. Et on en a besoin.

(1) Lundi méchant, (2) L’Ennui des après-midi sans fin, Éditions Les Arènes.

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La couverture de le nouvel album de Gaël Faye. Lundi méchant,

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