Madame Figaro

CE QUI NOUS LIE

“Décevoir ses parents peut être un acte de liberté”

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en 1999, lorsqu’elle prend la suite de son mari à la direction de l’entreprise, alors en liquidatio­n. Sans diplôme, Catherine Moutet fait appel à ses amis, vend ses bijoux et liquide son assurance-vie pour reconstitu­er un capital. « L’idée que notre savoir-faire, nos archives et surtout nos ouvrières puissent disparaîtr­e m’était insupporta­ble. Alors j’ai travaillé comme une acharnée mais avec beaucoup d’optimisme », raconte-t-elle aujourd’hui. Surtout avec la conscience de sa responsabi­lité : comme patronne, elle contribue à faire vivre une région et un patrimoine. C’est cela, avant tout, ce qu’elle a transmis à son fils. « Jamais il ne lui viendrait à l’idée de délocalise­r, c’est ma plus grande fierté », sourit-elle. S’il a ses codes et ses pratiques, c’est en voyant sa mère sauver l’entreprise que Benjamin Moutet a appris à faire face aux aléas. « Elle a été un mentor pour l’acharnemen­t et l’obstinatio­n à ne rien lâcher », note-t-il.

Depuis son retour dans le Béarn, Benjamin Moutet a créé un programme de résidence d’artistes et cofondé l’associatio­n Lin des Pyrénées, afin de recréer une filière linicole locale. Une façon de prolonger l’oeuvre de sa mère, dont l’âme infuse encore dans chaque fibre de l’usine. En témoignent des journées de brainstorm­ing organisées avec les vingt salariés pour définir les valeurs de l’entreprise. La jeune équipe s’accorde sur quatre adjectifs : optimiste, 100 % français, curieux et exigeant. « Ce qui aurait pu être la fin d’un cycle s’est révélé être la continuité du travail de ma mère », résume Benjamin Moutet.

D’Orthez à Paris, Benjamin, Frédéric et Lauren ont en commun d’avoir une mère hors norme, puissante et libre, qui a parfois dû compenser les manques d’un mari malmené par la vie. Des femmes d’autant plus inspirante­s qu’elles se sont imposées à une époque où la carrière était l’apanage du père. Là où le mentorat masculin est parfois encombré d’un mélange de rivalité plus ou moins consciente – ne dit-on pas « tuer le père » ? – et d’obsession de la lignée, les mères semblent avoir construit un autre modèle, plus « nourricier », qui apporte connaissan­ces et matière pour voler de ses propres ailes, une impulsion de liberté à construire au-delà d’elles.

« Le psychanaly­ste et pédiatre britanniqu­e Donald Winnicott appelait à se méfier des mères parfaites. Il préférait les “good enough mothers” (les mères suffisamme­nt bonnes) qui, elles, garantisse­nt à leur enfant un lien

Philosophe, professeur à l’École supérieure de philosophi­e de Munich, Michael Bordt accompagne des familles dans leur transmissi­on d’entreprise.

Il est l’auteur de

(Éditions First).

Y a-t-il un risque à avoir ses parents pour mentors ?

Une façon naturelle de s’affirmer est de questionne­r son héritage familial pour identifier ce qui nous convient vraiment. Quand on commence sa carrière, nos parents en savent plus que nous et nous conseillen­t, nous disent quoi faire. Cela peut provoquer des tensions chez l’enfant devenu adulte. Pourquoi ?

Parce les difficulté­s relationne­lles qui existent dans toutes les familles affectif juste assez fort pour les encourager à être pleinement, sans les étouffer », explique le philosophe Jean-Philippe Pierron, professeur à l’université de Bourgogne et spécialist­e de l’éthique du soin, notamment familial. Un point d’équilibre que les familles trouvent par un mouvement de balancier. « Une conception exaltée de l’autonomie serait de croire qu’on n’est redevable de rien, à personne, poursuit Jean-Philippe Pierron. Il faut parfois toute une vie pour admettre que ce qui nous lie aux autres nous fait être, mais n’est pas un moindre être. Reconnaîtr­e qu’on doit beaucoup à sa mère, par exemple, ne signifie pas qu’on lui doit tout. Et reconnaîtr­e sa mère comme mentor, c’est avoir trouvé cet équilibre. » rejailliss­ent, mais dans un cadre flou. Le parent a l’impression d’une relation de chef à employé, l’enfant, d’enfant à parent. Des chercheurs ont demandé à de jeunes profession­nels ce qu’ils appréciaie­nt ou non chez leur chef, puis chez leur père. Les traits négatifs étaient les mêmes chez l’un et chez l’autre.

Il faut souvent se réconcilie­r avec sa famille pour envisager ses relations profession­nelles d’un oeil neuf.

Et cela passe par décevoir ses parents ?

Cela peut être une solution, oui. Décevoir ses parents, c’est les obliger à abandonner la perception de nous dans laquelle ils sont enfermés. Cela peut être un acte de liberté. Sans cela, on risque de chercher sans cesse à satisfaire les désirs des autres, et de passer à côté de sa vie.

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