Madame Figaro

Rencontre : Alex Lutz, talent tout-terrain.

L’ACTEUR, QUI AIME EXPLORER LES GENRES, PUBLIE SON PREMIER ROMAN, LE RADIATEUR D’APPOINT, ET INCARNERA UN TENNISMAN SUR LE RETOUR DANS 5ÈME SET, DE QUENTIN REYNAUD. ÉCHANGE DE FOND.

- PAR MARION GÉLIOT

NUL VAINQUEUR NE CROIT AU HASARD. C’est Nietzsche qui le dit. Comédien, humoriste, metteur en scène, auteur de théâtre, réalisateu­r et désormais écrivain, Alex Lutz, le très exigeant et très bosseur, s’accomplit dans toute forme d’art. Dans 5ème Set, le prochain film de Quentin Reynaud, il joue Thomas Edison, un tennisman de 38 ans qui refuse d’abdiquer malgré une carrière déclinante. Mais dans la vie, Alex Lutz marque des points sur tous les terrains, imposant, depuis plus de dix ans, un genre bien à lui à travers des personnage­s marquants qu’il invente. À la télévision, avec les célèbres secrétaire­s Catherine et Liliane ; au cinéma, avec le chanteur populaire Guy (rôle qui lui a valu le César du meilleur acteur en 2019), ou encore sur scène, par le biais d’une galerie de portraits plus vrais que nature. En quête de nouveaux challenges, il dévoile cette année son premier roman, Le Radiateur

d’appoint, qu’il imagine déjà comme un troisième film choral. Car davantage que faire briller sa carrière, ce qu’Alex Lutz aime, c’est jouer collectif.

LE CORPS

« Je savais que je ne correspond­ais a priori en rien à l’athlète de haut niveau de 5ème Set, mais ce qui intéressai­t le réalisateu­r Quentin Reynaud était surtout de voir ma façon de bouger sur un terrain. Or le travail du corps fait partie intégrante de mon métier d’acteur. Résolu à m’exercer comme un fou, j’ai eu le bonheur de m’entraîner 4 h 30 par jour pendant plusieurs mois. Et si je ne connais toujours pas les subtilités du tennis, je sais ce que représente­nt les douleurs physiques d’un sportif, car je suis également pas mal amoché physiqueme­nt. Après quinze ans de scène, la répétition des torsions, des chutes ou des sauts pendant deux heures de spectacle chaque soir m’ont abîmé peu à peu le corps et mes ménisques aux genoux ont fini par lâcher. »

LA COMPÉTITIO­N

« J’espère que notre milieu artistique est un peu moins compétitif que celui du sport. Les rivalités peuvent exister en début de carrière, mais lorsqu’on a ensuite la chance de faire des films et d’en réaliser, on comprend le sens de la

phrase “Vous n’étiez pas le rôle”, lancée parfois après des castings. Et puis les acteurs ont tous une nature, un jeu, une carrière différente. On ne joue pas les mêmes tournois. »

LE LIEN MATERNEL

« Contrairem­ent à Thomas Edison, j’ai la chance d’avoir une mère forte, très présente et qui exprime facilement ses colères, ses joies ou ses doutes. Si Judith – qu’incarne Kristin Scott Thomas dans le film – est omniprésen­te, notamment à cause de sa fonction de manager de l’ombre, ma mère pourrait être son pendant raisonnabl­e. Elle a fait en sorte que ses trois enfants soient débrouilla­rds, et possède une qualité parentale que je trouve géniale : elle est fière, fan et absolument pas objective concernant mon travail. »

LES LOSERS

« Je ne sais pas à quoi est rattaché le principe de loser. Je comprends ce que l’on peut attendre d’une personnali­té sportive ou artistique, bien sûr, mais que l’on puisse utiliser ce terme pour qui que ce soit m’échappe complèteme­nt. Il y a des loupés, des objectifs plus ou moins atteints, mais il y a des gens très fiers de ce qu’ils font à l’endroit où ils sont. Et certaines personnes apparemmen­t au sommet sont dix fois plus ringardes et ploucs que des milliers de sous-classés. En revanche, je trouve qu’il y a beaucoup de choses à raconter avec des personnage­s comme Thomas Edison, que l’on peut voir comme un tennisman raté ou, au contraire, comme le 250e meilleur joueur du monde. »

L’ARTIFICE

« Certains rôles s’incarnent à nu, d’autres avec plus d’éléments, mais ils nécessiten­t la même énergie, le même travail et la même quête de vérité. Je ne me suis pas senti différent en incarnant le rôle de Thomas Edison, mon personnage dans 5ème Set, par rapport à d’autres marqués par la transforma­tion, comme Catherine ou Guy. Je ne pense d’ailleurs pas qu’on se cache parce qu’on se métamorpho­se. Au contraire, le costume permet de magnifier des sentiments et devient un élément simplifica­teur. Ainsi, le personnage de Catherine m’a permis d’exprimer une féminité, celui de Guy, une vieillesse d’âme. Sur scène, je n’utilise aucun artifice, afin que tout le monde puisse accomplir un travail d’imaginaire. Il y a un contrat tacite avec le spectateur : lorsqu’il vient me voir, nous jouons ensemble à la vieille dame, à l’homme préhistori­que… »

LE GENRE

« Je n’ai jamais eu peur de souffrir d’une image ambiguë ou ridicule, et je ne ferais pas tout ce que je fais si je ne pensais pas à la question du genre. J’ai une nature et une psychologi­e qui convoquent une part de masculinit­é, une autre de féminité, et le jeu me permet de l’exprimer superbemen­t. Là, je suis dans une période où je n’ai plus du tout envie de jouer Catherine car, même si elle nous manque, à Bruno Sanches et à moi, je suis heureux de ne plus porter de jupes crayons, de talons de 12 et des tonnes de maquillage. Cependant, questionne­r les genres reste intéressan­t et je suis admiratif des adolescent­s qui vont beaucoup plus loin sur les jeux de genres, comparé à ma génération ou à celle de mes parents. Nos pères et nos mères avaient un modèle vaguement nuancé qui n’était pas en accord avec ce que semblent ressentir aujourd’hui beaucoup de gens, dans leur fragilité ou leur force. »

LE DÉCOURAGEM­ENT

« Il m’arrive souvent de me décourager, mais je rebondis en agissant. Je fais abstractio­n de ce que le metteur en scène Bernard Murat appelait “la périphérie”, c’est-à-dire toutes les questions autour du vrai sujet. Quand Sylvie Joly m’a poussé à faire mon premier oneman-show, j’ai le souvenir d’avoir dressé une liste de toutes les raisons pour lesquelles ce n’était pas possible : trouver une salle, un producteur, faire des festivals d’humour

Il m’arrive souvent de me décourager, mais je rebondis en agissant

pour jouer dix minutes… Puis elle a fini par me dire : “Faisons le spectacle et on verra !”. Que voulez-vous répondre à ça ? Quel que soit notre métier, si on se dit : “J’attaque”, la sensation de découragem­ent est dépassée. »

L’ENVIE

« Je raccrocher­ai quand je n’aurai plus d’appétit, mais j’essaye de conjurer cette échéance en réalisant beaucoup de choses qui se recoupent sous des formes différente­s : un programme court, un film, une pièce de théâtre, une peinture, un dessin, un livre… J’ai besoin que mon expression soit polychrome pour m’éviter toute sensation de routine. Il y a une multitude de formes de création que je ne maîtrise pas – j’adorerais par exemple réaliser un dessin animé –, mais je me lance volontiers quand il s’agit de jouer, de mettre en scène et d’écrire. Pour mon premier roman, Le Radiateur d’appoint, le point de départ a justement été d’acheter un radiateur avec un défaut. En pestant contre cette imperfecti­on, j’ai compris que faire parler cet objet m’offrait la possibilit­é de brosser une galerie de portraits de gens reliés par une même histoire et d’imaginer une espèce de Magnolia (le film de Paul Thomas Anderson, NDLR) au pays de Bricorama. Au fil des chapitres, je me suis dit que mon troisième film était peut-être sous mes yeux… »

« 5ème Set », de Quentin Reynaud. Sortie prochainem­ent.

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 ??  ?? ✐ « Le Radiateur d’appoint », d’Alex Lutz, Éd. Flammarion, 208 p., 18 €.
✐ « Le Radiateur d’appoint », d’Alex Lutz, Éd. Flammarion, 208 p., 18 €.
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Dans 5ème Set, le prochain film de Quentin Reynaud, Alex Lutz joue le rôle d’un tennisman de 38 ans qui refuse de tirer sa révérence.

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