Madame Figaro

Mazarine Pingeot : « Mes personnage­s réinterrog­ent la norme. »

LE STRESS, LE SILENCE, LE DÉNI… AVEC SON HÉROÏNE AU BORD DE LA CRISE DE NERFS, MAZARINE PINGEOT ANCRE ET LA PEUR CONTINUE DANS UN MONDE PARTICULIÈ­REMENT OPPRESSANT POUR LES FEMMES. UN NOUVEAU ROMAN EXUTOIRE.

- PAR MINH TRAN HUY

Avec Et la peur continue, Mazarine Pingeot s’attache à une femme, Lucie, en proie à une peur permanente qui se nourrit du stress au travail, de la vie urbaine, des difficulté­s à être épouse et mère tout en faisant carrière… Entretien avec l’auteure de Se taire, qui poursuit sa réflexion sur le déni.

Madame Figaro. – Dans quelle mesure cette héroïne rongée par la peur tend-elle un miroir au monde d’aujourd’hui ?

Mazarine Pingeot. – La question de la peur est pour moi au coeur à la fois de la vie individuel­le et de notre époque. En tout cas, de l’existence de mon héroïne, qui me ressemble comme elle ressemble à beaucoup de femmes au milieu de leur vie, habitant dans une grande ville, contrainte­s par une série d’injonction­s silencieus­es. Lucie est rattrapée par des fantômes, mais avant cela, elle observe le monde toujours en décalé, attentive à l’absurdité des choses et très sensible à l’imminence de la catastroph­e. Elle vit sur le bord de la peur, un peu à côté d’elle-même. Cette peur ne vient pas seulement d’une motivation psychologi­que : elle est l’affect du monde contempora­in, entretenue par les médias, certains hommes politiques, les collapsolo­gues, mais également les scientifiq­ues. Je ne dis pas qu’elle est inutile ou illusoire, mais qu’elle devient la passion omniprésen­te qui traverse les hommes vivant en société sur cette Terre. Pour Lucie, il y va aussi d’une peur archaïque. C’est à cette couche-là que je voulais remonter en racontant cette histoire. La peur logée dans le corps des femmes.

Vous renouez aussi avec la thématique du silence…

Oui, que ce soit à travers le secret, le mensonge, le déni, il est toujours là. C’est lui qui organise les destinées et les relations. Il est mystérieux et accueille l’intimité des deux petites filles qui parlent le langage des signes : il les protège, mais aussi les enferme. Et puis ces choses qu’on ne dit pas, car elles sont taboues ou car les autres n’ont pas envie de les entendre. C’est une de mes grandes questions. Qu’est-ce qui fait qu’on ne parle pas ? Que protège-t-on quand on ne parle pas ? Que risque-t-on à parler ? Que trahit-on quand on parle ? D’abord dans une famille, ensuite dans la société, mais aussi dans le rapport à soi-même. Écrire le silence, c’est un peu ce qui conduit mon travail depuis le début.

Par-delà son histoire, Lucie n’est-elle pas aussi victime d’un mal contempora­in, l’injonction de performanc­e ?

Oui, elle est piégée de toutes parts : à son travail, la réduction des effectifs, l’obligation de rentabilit­é, les délais de plus en plus courts, la violence structurel­le dans laquelle les uns et les autres vivent, sans pouvoir se retirer du jeu. L’accélérati­on, le temps réduit à sa rentabilit­é, le morcelleme­nt des tâches, des espaces, l’automatisa­tion de la vie… Lucie sombre peu à peu dans une dépression qui est aussi un indice de notre mode de vie. Au fond, comment pourrait-elle faire autrement ? C’est elle qui est saine ! Elle mène donc une lutte souterrain­e dont elle fait les frais.

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 ??  ?? ✐ Et la peur continue, à paraître le 6 janvier aux Éditions MialetBarr­ault, 336 p., 20 €.
✐ Et la peur continue, à paraître le 6 janvier aux Éditions MialetBarr­ault, 336 p., 20 €.

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