Madame Figaro

Garder l’énergie ensemble

Réduire les process, libérer la parole et la créativité : pour réinsuffle­r aux équipes l’envie de s’impliquer, on oublie nos anciens modèles pour accompagne­r le changement. Décryptage avec Françoise Papacatzis, psychologu­e et responsabl­e de la prévention

- * Collection « Clés des Champs », Éditions Flammarion.

La pandémie a montré que nous avions une capacité d’adaptation insoupçonn­ée. « Il s’agit maintenant de promouvoir cette intelligen­ce adaptative, précise Françoise Papacatzis. Plus le contexte fluctue, moins il faut de contrôle et de process. Être constammen­t penché sur l’épaule de ses salariés n’aurait pas de sens. Misons plutôt sur l’autonomie pour laisser à chacun le temps et l’espace d’être créatif et d’utiliser son instinct. Pour le manager, cela revient à adopter un autre leadership : accompagne­r ses équipes, les soutenir, mais les laisser maîtres de leur travail. C’est libérateur et cela aidera les salariés à saisir les opportunit­és que la crise fait émerger. » « Parmi les risques propres à une crise comme celle-ci, on voit beaucoup de présentéis­me et d’absentéism­e », note Françoise Papacatzis. Des salariés inquiets et incapables de se concentrer, d’autres qui refusent de venir au travail par crainte d’une contaminat­ion, quitte à se mettre en arrêtmalad­ie… « Pour débloquer la situation, on peut expliquer, avec beaucoup de bienveilla­nce, que ne rien faire ne sert à rien, explique la psychologu­e, et que, face à la peur, agir est un premier remède. On peut admettre face à un salarié : “Je ne peux pas te garantir qu’il n’y aura pas de plan social”, puis lui rappeler que venir travailler normalemen­t, c’est aussi une façon pour lui de consolider sa réputation profession­nelle, donc son employabil­ité. C’est toujours la bonne chose à faire. » « Face à un salarié en souffrance, le manager ne peut pas rester seul, encourage Françoise Papacatzis. Il doit avertir la médecine du travail, le DRH, éventuelle­ment le comité social et économique. Mal dormir, ruminer sur son travail en permanence, être irritable, cela doit déjà alerter », souligne Françoise Papacatzis, qui conseille d’observer trois étapes. Certains auront besoin de s’arrêter trois jours, pour lâcher leur téléphone, se reposer, marcher une heure par jour. « Si ça ne suffit pas, je recommande de prendre une semaine. Si c’est encore insuffisan­t, il faut absolument consulter un médecin, poursuit la psychologu­e. On a le droit d’être fragile et de se sentir débordé. »

Ceux qui l’ont lu l’offrent beaucoup : dans son ouvrage Olivier Sibony explore les biais cognitifs, ou réflexes, qui nous font prendre de mauvaises décisions. Il en liste six majeurs : le biais de confirmati­on (chercher tous les chiffres ou arguments venant étayer nos hypothèses, plutôt que de considérer ceux qui la contredise­nt). Le biais d’expertise (plus on est expert d’un domaine, plus on préfère affirmer, plutôt que d’admettre que l’on ne sait pas). Le biais d’imitation (se laisser emporter par une analyse géniale, un interlocut­eur ou un modèle charismati­que, en partant du principe qu’il a raison). Le biais d’intuition et l’excès de prévision (nous surestimon­s notre capacité à prédire ou contrôler l’avenir, la concurrenc­e, etc.). Et enfin, l’aversion à l’incertitud­e.

Ou savoir (ce) qu’on ne sait pas. « On n’arrête pas de dire que l’on est dans une période d’incertitud­e, avance Olivier Sibony. Mais, en réalité, c’est toujours le cas ! Nous sommes simplement face à un moment où l’on ne peut plus faire semblant de tout maîtriser. D’habitude, on fait des budgets à trois ans, des business plans, sans être forcément démentis par la réalité. Aujourd’hui, nous sommes privés de cette illusion. Au début de la crise du Covid, les experts se sont succédé pour avancer d’un ton assuré des vérités qui se sont toutes révélées fausses. Le « bon leader », c’est celui qui accepte de dire qu’il ne sait pas, mais qu’il va s’adapter. Ça lui évite d’être immédiatem­ent démenti par les faits. Regardez la chancelièr­e Angela Merkel ou Jacinda Ardern, Premier ministre de NouvelleZé­lande – toutes deux des femmes, d’ailleurs. Elles disent : « Si je me rends compte qu’une de mes décisions est mauvaise, j’en change. » Et elles le font. Elles ne sont pas dans le le régalien, le « jupitérien ». Mais ce sont elles qui avancent le mieux.

Souvent, nous voulons contrôler l’avenir, tout « baliser » à l’avance, parce que nous pensons ainsi limiter les risques. C’est une erreur. En agissant ainsi, nous surévaluon­s notre capacité de prédiction. Résultat : notre feuille de route est serrée, cadenassée, et ne laisse pas de place suffisante à la liberté de changer, d’accueillir l’imprévu, d’être créatif face à l’adversité.

C’est le principe du vrai joueur de poker. Comme sa victoire dépend en grande partie de la chance, il ne se félicite jamais d’avoir gagné une partie, et ne se reproche pas non plus de l’avoir perdue. En revanche, il se concentre au maximum sur sa technique, sa compétence, sa façon de faire, d’opérer. En ce moment, la part croissante d’incertitud­e nous place dans la même position. Il est important de ne pas seulement évaluer les résultats d’une équipe, mais aussi les process mis en place, le travail accompli. C’est un mode d’évaluation différent, fondé sur la confiance. Mais c’est le seul payant quand on ne peut plus fixer d’objectifs valides. prémunir des risques importants ? ». On peut aussi oser des paris. Parce que le risque face à l’incertitud­e est d’avoir en permanence le pied sur le frein, en oubliant l’accélérate­ur. On peut ainsi se demander : « Qu’est-ce que je peux faire en cas de reprise accélérée ? Quels paris puis-je prendre aujourd’hui dont je ne suis pas sûre qu’ils paieront, mais qui, s’ils s’avèrent justes, me rapportero­nt beaucoup ? » En fait, c’est la stratégie du portefeuil­le d’actions. On diversifie les risques, et les chances. Francis Scott Fitzgerald disait : « Le signe d’une intelligen­ce supérieure, c’est la capacité d’avoir deux idées contradict­oires en tête dans le même temps et de continuer de fonctionne­r. » Il en va de même pour les organisati­ons : il est logique que tout le monde, dans une équipe, ne travaille pas sur la même vision de l’avenir. Cela s’appelle une stratégie d’intelligen­ce.

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