Madame Figaro

“La vraie vie, c’est d’être pris au dépourvu”

Pour rebondir dans ce contexte inédit, quoi de plus libérateur que d’apprivoise­r l’incertitud­e ? Le philosophe nous guide dans cette voie.

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– Je crois qu’il y a une idéalisati­on du bonheur comme étant la sécurité – ce qui n’est d’ailleurs pas totalement faux. On privilégie la durée de la vie, par opposition à son intensité. C’est l’inverse d’Achille, qui choisit une vie menée sur le sentier de la gloire plutôt qu’une existence longue. Ce paradigme achilléen, qui a fondé une civilisati­on, la civilisati­on moderne le rejette majoritair­ement. Résultat : la santé, l’argent deviennent la façon d’accéder au bonheur, plus que l’oeuvre d’une vie ou même l’amour. Tout ce qui vient amenuiser le risque est sacralisé. Or les prises de risques sont consubstan­tielles à l’existence. Changer de travail comporte des risques ; rencontrer quelqu’un, aussi. La vie nous demande en permanence de prendre des risques « souhaitabl­es ».

Un peu les deux. Oui, sans doute il faut renforcer notre principe de continuité, de cohérence interne (c’est la question des valeurs, de l’engagement, tout ce qui a du sens pour nous et nous définit, nous semble tangible face aux modélisati­ons d’effondreme­nt), et, en même temps, renforcer notre tolérance au risque, à la crise. Car, de fait, les vies sont de plus en plus fragmentée­s, discontinu­es, cumulative­s – ce n’est pas uniquement négatif. Or le sujet a besoin d’une « identité narrative », pour reprendre la formule de Paul Ricoeur. Une façon de ressentir notre identité, c’est de pouvoir en faire un récit.

Cela ne suffit pas. On ne peut pas croire qu’on est soi-même le seul point tangible de sa vie. Sinon, on est « hors-sol », comme l’écrit Bruno Latour. D’où la

nécessité de produire des stratégies de réancrage. De la reterritor­ialisation, de la relocalisa­tion. L’économie solidaire, c’est du réancrage dans l’économie réelle.

C’est une question de rapports de force.

Les grands mouvements de ces dernières années sont nés de cela, d’une conflictua­lité d’un type nouveau. Je pense à MeToo. Il y a de la violence dans ce mouvement, des dérives pas toujours souhaitabl­es, mais aussi la mise en place d’un rapport de force qui a permis d’avancer sur la question des violences de genre. Pareil pour le climat avec Extinction Rebellion, ou le mouvement antiracist­e #Blacklives­matter.

Dans mon journal de confinemen­t du printemps 2020, j’avais repris l’ouvrage de mon camarade Pierre Zaoui, qui dans son moment final opère une déconstruc­tion du concept du pire. Il démontre que le pire n’est pas pur. C’est donc

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