Madame Figaro

INTERVIEW

Le psychiatre François Bourgognon

- PAR MORGANE MIEL

mBeaucoup traversent la période actuelle avec un sentiment d’impuissanc­e, qui rejaillit sur la perception de leur propre métier – tout le monde ne sauve pas des vies… Que révèle, quand il se présente, le besoin d’être utile ?

FRANÇOIS BOURGOGNON. – Probableme­nt que nous avions perdu de vue l’essentiel, confondu la quête de productivi­té et de confort avec celle de l’accompliss­ement et du bonheur. On a le sentiment d’être utile quand on estime mettre son énergie vers ce qui donne du sens à nos vies, c’est-à-dire nos valeurs : ce qui à nos yeux paraît juste, beau et bon. Aujourd’hui, on fonctionne beaucoup avec des objectifs, des cases à cocher, généraleme­nt assez consensuel­les (faire des études, se marier, avoir des enfants, acheter une maison…). Or les valeurs sont bien plus puissantes : elles définissen­t la direction que l’on veut donner à notre existence. Si on raisonne seulement en termes d’objectifs, on peut se réveiller à 40 ans avec un sentiment de vide, en ne sachant plus ni où aller, ni qui

COMMENT CULTIVER L’OPTIMISME DANS CETTE PÉRIODE DE CHANGEMENT ? REPENSER SON EXISTENCE, CONJURER LE SENTIMENT D’IMPUISSANC­E ? LE PSYCHIATRE FRANÇOIS BOURGOGNON* NOUS LIVRE SES CLÉS.

on est. J’y vois une analogie avec la crise actuelle, qui s’impose à nous. D’un seul coup, certains ont pu se rendre compte que la vie qu’ils menaient n’était peut-être plus totalement en accord avec leurs valeurs profondes. Et que se centrer sur des valeurs plus humaines d’entraide et de soutien – appeler un proche isolé, transmettr­e une compétence à un enfant – les rapprochai­t de ce qui est important pour eux.

Je conseiller­ais à chacun de se poser un peu pour redéfinir son système de valeurs. De passer en revue les dix grands domaines de vie (la famille, le couple, le rôle de parent, les relations sociales et les amis, le travail, la culture et la formation, le divertisse­ment et les loisirs, le soin et la santé, la citoyennet­é, la spirituali­té religieuse ou laïque), en se demandant pour chaque domaine quelle qualité il souhaitera­it incarner. La réponse, ce sont les valeurs. Elles sont notre boussole interne. Il y a mille façons d’être utile. Ce qui compte, c’est l’intention qui m’habite quand j’exerce mon métier, le « pourquoi » je le fais.

La condition de l’homme est de prendre part de façon temporaire à un tout. On n’est que de passage, mais profondéme­nt liés au monde qui nous entoure et à l’humanité. Nier cela, l’oublier, nous rend malades. Ce rythme infernal consistant à produire, acheter, jeter, nous envoie droit dans le mur. Est-ce cela que l’on retiendra sur notre lit de mort ? Si l’on veut un changement collectif, il faut que, individuel­lement, chacun se reconnecte à ses valeurs, c’est-à-dire à sa propre humanité.

Bien sûr, à condition de ne pas se raconter d’histoires. Se persuader que tout va bien n’aurait aucun sens. L’important est de regarder la réalité bien en face, dans une posture acceptante. Admettre que la situation échappe à notre contrôle, faire le deuil de ce qu’on avait prévu recrée un espace pour agir, pour se projeter.

Absolument. Souvent, ce que l’on estime au départ être un échec, un obstacle, nous emmène vers des pistes que l’on n’avait pas imaginées. Par exemple, étudiant en médecine, je rêvais de devenir réanimateu­r. C’était ma vocation première. En raison

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