IVAN JABLONKA Être un garçon
VOILÀ UN BON MOMENT DÉJÀ QU’IVAN JABLONKA, historien et écrivain mêlant les genres (enquête, récit en sciences sociales, fiction) pour tenter de “dire du vrai”, notamment sur la question de la violence, se penche sur la domination masculine. Après Des hommes justes (2019), où il prônait l’invention de « nouvelles masculinités », Jablonka fait un retour sur son enfance et sa jeunesse pour comprendre à travers son propre cheminement et celui de ses copains comment s’est fabriqué leur « garçonnité ». Avec beaucoup d’humour, il décrypte l’éducation qu’il a reçue, la répartition des rôles entre ses parents, ce qui se passait à l’école, au service militaire et avec les filles pour faire le portrait de la génération (la « genration ») à cheval sur les années 1970-1980, cherchant dans de nombreux indicateurs (le porno, la télé, le cinéma, le foot, le contexte politique…) le « conditionnement de genre ». Précisant que s’il y a bien domination masculine (et privilèges), il y a aussi un malheur et une surmortalité (alcoolisme, dépression, suicide…) du côté des hommes, qui méritent d’être interrogés.
Mais en réalité, et c’est là le charme de ce livre, c’est la singularité de son parcours qui ressort, avec moult pages très émouvantes. De même qu’il n’y a pas « la » femme, il n’y a pas « une » essence masculine. Parce que ses grands-parents ont disparu à Auschwitz et qu’il a une connaissance intime de ce que veut dire être une victime, parce que sa mère était prof de lettres, parce que son père était doux et tendre, parce qu’il ne plaisait pas aux filles pendant son adolescence et se sentait seul, parce que sa passion des mots le tirait vers la poésie, parce que l’anxiété ne le quitte jamais, Jablonka se définit comme l’« exact contraire du cow-boy Marlboro ». Cela fait-il de lui un homme au féminin, et cela signifiet-il que seuls ceux-là s’intéressent aux combats féministes ? À suivre. I. P.