LA CHRONIQUE DE COLOMBE SCHNECK LECTRICE ET ÉCRIVAINE
Si j’étais l’amie de Malin Lindroth, j’espère que j’aurais le courage de l’engueuler. Malin Lindroth, romancière et poétesse suédoise, l’auteure de La Fille de cinquante ans, un livre drôle et courageux sur son cas, le mien et celui de millions de femmes célibataires. Dans l’imaginaire collectif, l’état de « vieille fille » est assurément un échec : « Si j’avais choisi d’être une vieille fille comme on choisit d’être végane, il y aurait à ce sujet des communautés, des tee-shirts, des forums, des totebags et des articles qu’on se partagerait sur les réseaux sociaux », écrit-elle. La vieille fille se heurte à la nonsatisfaction de la fin heureuse. Mais quand je pense à cette fin heureuse, je pense aussi à la dernière phrase de la nouvelle de Tchekhov, La Dame au petit chien.
Un homme et une femme s’aiment, se retrouvent et, au lieu d’écrire « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », Tchekhov nous prévient : pour eux
« le plus difficile ne fait que commencer ». Mais dans notre monde la perspicacité de Tchekhov ne règne pas. Le célibat, c’est donc moche, nous rappelle Malin Lindroth. Je suis d’accord, et pourtant on peut être seule et se sentir si libre qu’on en bondit de joie, conclut-elle, et je suis aussi d’accord, car, comme elle, je suis prête à me contredire. Maintenant, revenons au cas de Malin Lindroth. 50 ans donc, célibataire, les hommes l’embrassent d’un baiser spécial qu’elle décrit avec précision, les lèvres en avant et la bouche bien fermée. C’est triste, et voilà pour l’engueulade : « Pourquoi, alors qu’inscrite sur un site de rencontres, quand tu reçois des propositions d’hommes célibataires, tu pars en courant ? Pourquoi tu ne supportes pas que des hommes te désirent comme toi tu les désires ? Pourquoi tu ne supportes pas leur demande d’amour… » En ne répondant pas, elle nous rappelle qu’en amour, à 50 ou à 15 ans, homme ou femme, la peur nous envahit toujours.