Madame Figaro

«L’étincelle de la vie », par Diane Mazloum.

- PAR DIANE MAZLOUM, ROMANCIÈRE / ILLUSTRATI­ON MARC-ANTOINE COULON Dernier livre paru : « Une piscine dans le désert », Éditions JC Lattès.

Je vous écris de Beyrouth. C’était ma ville, et même si j’habite Paris aujourd’hui, ce sera toujours ma ville. Je ne m’y étais plus rendue depuis cette date fatidique du 4 août 2020 où la plus grande explosion non-nucléaire de l’histoire, au port, a pulvérisé la moitié de la capitale, achevant un peuple déjà mis à terre et dépouillé par un État malfaiteur. Si les Libanais continuent encore à vivre, dit-on, c’est par seule curiosité de voir comment toute cette affaire va se terminer. À mon arrivée ce Noël, ce sont des visages mélancoliq­ues et désorienté­s que j’ai retrouvés, chaque personne brouillée par une liste de problèmes insolubles, hantée par un avenir confisqué. Et puis, dans cette jungle où l’on ne fait plus la différence entre ce qui est détruit et ce qui est en constructi­on, réparation ou décomposit­ion, vestiges de la guerre et ravages de l’explosion, une lointaine amie m’interpelle : « On est là, on est passé à travers ! » me souffle-t-elle d’un sourire soulagé, un sourire aussi grand, surpris et innocent que celui d’un bambin qui découvre dans le creux de la main de son père la pile miracle pour faire marcher son jouet ; sourire exprimant la joie pure d’être vivant. C’est alors que revient me frapper ce pouvoir d’éblouissem­ent si libanais, cette faculté de se faire plaisir avec quelque chose d’aussi simple qu’un échange spontané dans la rue, une blague, un fruit sur un arbre, un refrain des années 1980 s’échappant d’une voiture, une cigarette au bord de la mer, une allumette qu’on craque juste pour en écouter le bruit. Et on joue avec le feu autant qu’on réfléchit au futur, à ce qu’on va pouvoir encore inventer pour s’en tirer. Cette confiance inexplicab­le ! Courage ou inconscien­ce ? Qu’importe. Ici, l’étincelle de la vie est plus forte que tout. Alors, peut-être, plus que notre légendaire et désormais contestée résilience, plus que notre singulière capacité d’adaptation, ce qui nous sauve à présent, c’est d’avoir gardé malgré tout une âme d’enfant.

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