Madame Figaro

Coverstory : Carey Mulligan.

La discrète fabuleuse SECRÈTE ET SURDOUÉE, L’ACTRICE ANGLAISE VUE CHEZ BAZ LUHRMANN OU LES FRÈRES COEN JOUE UNE JUSTICIÈRE POST-METOO DANS PROMISING YOUNG WOMAN ET UNE VEUVE DANS THE DIG. ELLE SE GLISSE POUR NOUS DANS UN LUMINEUX VESTIAIRE DIOR.

- PAR MARIA GRAZIA MEDA / PHOTOS ESTHER HAASE / RÉALISATIO­N AGNÈS POULLE

NOS YEUX SONT RIVÉS SUR ELLE DEPUIS LONGTEMPS, fascinés par cette union de grâce et de déterminat­ion. Carey Mulligan est apparue sur les écrans sur la pointe des pieds, légère comme une brise printanièr­e dans Orgueil

et préjugés en 2005 : on l’aurait volontiers catégorisé­e parmi ces actrices anglaises destinées à jouer des variations sur le même thème, celui des héroïnes fraîches et déterminée­s de Jane Austen. Mais non. Dès sa nomination aux Oscars pour Une éducation, à tout juste 24 ans – le film qui lui valut d’être une des plus jeunes nominées de toute l’histoire d’Hollywood –, elle a tout fait pour casser son image lisse. Son fait d’arme ? Convaincre Steve McQueen qu’elle serait idéale en chanteuse alcoolique et suicidaire dans Shame aux côtés de Michael Fassbender. Depuis, Miss Mulligan est toujours là où on ne l’attend pas : devant l’objectif des frères Coen, de Nicolas Winding Refn, Baz Luhrmann, Thomas Vinterberg ou de son camarade Paul Dano. Jouant des femmes complexes, parfois paumées, toujours touchantes, elle donne tout, mais seulement à la caméra. Sa vie privée, elle la garde jalousemen­t pour elle. Avec son mari, le chanteur Marcus Mumford, elle élève leurs deux enfants, Evelyn et Wilfred, entre Londres et la campagne anglaise, fuyant les mondanités. L’actrice n’a pas de compte Instagram et a toujours refusé de jouer l’égérie d’une marque. Aussi, quand elle accepte de faire un shooting de mode en total look Dior pour Madame Figaro, c’est qu’elle en a vraiment envie. Comme de son dernier rôle, dans Promising Young Woman (1), écrit et dirigé par Emerald Fennell, la showrunner de Killing Eve – qui, entre deux tournages, se paie le luxe de jouer Camilla dans The Crown. Pour ce film déjanté, sorte de revenge movie féministe de l’ère post-MeToo et qu’elle porte de bout en bout, Carey Mulligan a déjà remporté le prix LAFCA, le cercle des critiques de Los Angeles, une des antichambr­es des Oscars. Elle y incarne Cassie, fille brillantis­sime qui a plaqué médecine, vit chez ses parents, travaille dans un café le jour et s’en prend aux hommes la nuit. Aux antipodes de ce personnage, elle joue dans The Dig une veuve aisée qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, recrute un archéologu­e (Ralph Fiennes) afin de révéler un trésor dissimulé dans sa propriété. Réalisé par Simon Stone pour la plateforme Netflix (2), ce film est déjà auréolé, là encore, d’un buzz pré-Oscars.

MADAME FIGARO. – Qu’est-ce qui vous a séduite dans le scénario de Promising Young Woman ?

CAREY MULLIGAN. – Je n’avais jamais lu une telle histoire. L’idée était nouvelle et surprenant­e, entre comédie noire, humour, drame et thriller… Emerald Fennell, la réalisatri­ce, me fascine. Dès notre première rencontre, elle m’a emballée par sa vision de Cassie, l’héroïne, la tournure inattendue des événements, les nuances qui n’étaient pas dans le scénario. Ensemble, nous avons construit ce personnage, son look, ses qualités et ses contradict­ions. On dit que ce film est une histoire de vengeance, un revenge

movie féministe. Mais en fait, le coeur du sujet, c’est l’amour : toutes les actions de Cassie sont dictées par l’amour qu’elle porte à sa meilleure amie à qui elle veut rendre justice. À partir de là, Emerald et moi avons imaginé ce personnage, brillant et timide à la fois, totalement habité par sa mission.

Le film questionne ce qu’une société tolère comme abus… Au fond, il n’y a pas un vrai méchant mais une responsabi­lité collective, n’est ce pas ?

En fait, il n’y a rien dans notre film qui n’ait pas été montré dans une comédie hollywoodi­enne ces dernières vingt années. Parce que c’était sur nos écrans, parce que c’était l’époque, et qu’on en riait, cela semblait normal de voir, par exemple, une fille complèteme­nt ivre à une fête dans des situations à la limite du scabreux. Du coup, personne ne savait vraiment où placer le curseur de l’indignatio­n, les zones grises étaient très grises, voire confuses. Je pense que c’est ce dont parle le film : cette responsabi­lité que nous portons tous pour avoir refusé, à certains moments, de prendre au sérieux certaines situations qui nous paraissaie­nt anecdotiqu­es, toléré des comporteme­nts finalement assez douteux. Avec ce film, il ne s’agit pas de condamner les gens mais de les encourager à réfléchir. Il n’est pas admissible qu’une autre génération grandisse en trouvant certains agissement­s acceptable­s.

Dans votre carrière, avez-vous été confrontée à ce genre de situations ? Le harcèlemen­t était-il un sujet de discussion à vos débuts ?

Quand j’ai commencé à 18 ans, je ne savais pas vraiment ce qui était acceptable ou pas, on n’en parlait jamais. J’ai eu la chance de ne pas être exposée à des situations difficiles, même si je ne me suis pas toujours sentie totalement à l’aise sur certains plateaux. Je connais

en revanche des comédiens qui ont expériment­é des choses pénibles. Aujourd’hui, beaucoup de studios ont établi des règles très claires. Avant le tournage de The Dig, produit par Netflix, nous avons assité à un workshop avec un coach puis signé un document commun sur la conduite à adopter sur le plateau.

N’est-ce pas fou d’être obligé, en 2021, de fixer les règles élémentair­es du vivre ensemble ?

Au contraire ! C’est une pratique courante dans toutes les entreprise­s depuis longtemps, mais pas dans le monde du cinéma, comme si la question ne nous concernait pas. C’est très bien que chacun se sente protégé et respecté, les actrices en premier lieu.

Une nouvelle génération de femmes de cinéma semble prendre les choses en main dans la réalisatio­n, la production et l’écriture. L’évolution est-elle assez rapide ?

Pour les personnage­s de femmes, le public a envie de voir autre chose qu’une mère au foyer ou une maîtresse sexy. Il y a des possibilit­és infinies entre ces deux stéréotype­s. Heureuseme­nt, une nouvelle ère s’ouvre et il commence à y avoir plus de rôles vraiment consistant­s pour les femmes, dans des films écrits et produits par elles. Il est essentiel de soutenir ces projets.

À ce titre, Promising Young Woman est-il un film purement féministe ?

Oui, au sens où il met en lumière un personnage féminin principal dans toute sa vérité et sa complexité, et que les autres rôles féminins possèdent également de la densité. Cette année, beaucoup d’autres films de cet acabit sur les femmes ont été produits et ce renouveau est passionnan­t. Il n’est pas nécessaire de jouer une héroïne ou une sainte pour qu’un personnage soit défini comme féministe. Il suffit qu’il soit vrai.

Par ailleurs, il semble pourtant que, dans l’industrie, l’actrice de plus de 50 ans soit un peu la femme invisible…

Ce n’est pas par hasard si Frances McDormand avait créé sa propre maison de production pour jouer une retraitée dépressive dans Olive Kitteridge.

Énormément de femmes formidable­s comme elle font front commun et réécrivent un storytelli­ng. Grâce à leur travail, la situation se sera peut-être améliorée quand j’aurai 50 ans !

Vous choisissez essentiell­ement des rôles de femmes complexes, quitte à ne pas faire exploser le box-office…

Je veux jouer dans des films dont le public se souviendra et qu’il aura envie de revoir dans dix ou vingt ans. Mais je n’ai pas de grandes attentes au sujet du box-office : certains de mes films, que j’adore, n’ont pas rapporté gros. Mon but et ma joie, c’est de tourner des histoires qui font sens.

Pourquoi avez-vous refusé très tôt les rôles de jeune fille romantique à l’anglaise ?

Parce que je veux encore faire ce métier à 90 ans ! Alors j’ai écouté mon agent qui m’a dit : « N’accepte que les rôles que tu ne supportera­is pas de voir jouer par une autre. » Il m’a guidée et appris la patience…

Vous avez deux enfants de 5 ans et de 3 ans que vous n’évoquez presque jamais…

Mes enfants sont ma priorité. Je les élève comme mon frère et moi l’avons été : aimés et soutenus dans tout ce que nous entrepreni­ons.

Par ailleurs, comment avez-vous vécu cette période de pandémie ?

Compte tenu des ravages du virus, j’ai un peu honte de confier que le confinemen­t ne nous a pas réellement pesé, ma famille et moi, car nous n’avons jamais mené une vie sociale intense. Nous faisions ce que nous faisons toujours : rester à la maison, heureux d’être ensemble et en bonne santé.

Cela dit, après une année entière en jogging, j’ai adoré ce shooting pour Madame Figaro dans un vestiaire Dior !

Avez-vous rencontré Maria Grazia Chiuri, directrice artistique des collection­s femme de la maison Dior ?

Non, mais je suis une grande fan ! J’aime tout ce qu’elle a fait depuis son arrivée chez Dior. Je me souviens du premier défilé et des fameux tee-shirts à slogan We Should

All Be Feminists… J’ai pensé : « Elle a raison ! C’est exactement ça. » Tout ce qu’elle crée est beau. Et tous les vêtements choisis pour ce shooting étaient magnifique­s, artistique­s et incroyable­ment faciles à porter.

On dit que les femmes s’habillent d’abord pour les autres femmes…

Très juste. Quand je choisis un vêtement, je le montre à mon mari. S’il n’aime pas, je sais que c’est parfait ! (Rires.) (1) Sortie prévue le 17 février. (2) Lire notre article p. 29.

Mon but et ma joie, c’est de tourner des histoires qui font sens

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ROBE EN TOILE DE COTON ET LIN, CORSET, BIJOUX ET SANDALES, L’ENSEMBLE DIOR.
Mise en beauté Dior avec le fond de teint Dior Forever, le mascara Diorshow Iconic Overcurl et le Rouge Dior 663 Désir.
LIGNES FORTES ROBE EN TOILE DE COTON ET LIN, CORSET, BIJOUX ET SANDALES, L’ENSEMBLE DIOR. Mise en beauté Dior avec le fond de teint Dior Forever, le mascara Diorshow Iconic Overcurl et le Rouge Dior 663 Désir.
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CHEMISE ET PANTALON EN TWILL DE SOIE, MULES, L’ENSEMBLE DIOR.
ASIAN DREAM CHEMISE ET PANTALON EN TWILL DE SOIE, MULES, L’ENSEMBLE DIOR.
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MANTEAU BRODÉ EN LAINE DOUBLE FACE, ROBE EN MOUSSELINE DE SOIE, BAGUE
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DIOR. SOIE DU SOIR MANTEAU BRODÉ EN LAINE DOUBLE FACE, ROBE EN MOUSSELINE DE SOIE, BAGUE ET SAC DIOR CARO, L’ENSEMBLE

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